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disposé à prendre son parti en tout. Elle-même jurait que c’était la misère : « Je n’ai que 100 pistoles par mois[1], je ne peux jamais donner moins qu’une pistole ; en huit jours, tout mon argent est passé en fruits, en ports de lettres et en fleurs… Si je veux acheter la moindre bagatelle, il faut que j’emprunte : il m’est donc absolument impossible de faire des cadeaux. » Cette fin est à l’adresse des parens d’Allemagne qui s’entêtaient à la croire riche et en situation de les aider. Les 12 000 livres furent portées à 25 000 dans la suite des années, je ne saurais dire à quelle date : peut-être au même temps où Monsieur doubla ce qu’il donnait d’autre part pour le jeu de Madame : « Je n’ai eu que cent louis d’argent[2] pour le jeu jusqu’à la mort de ma mère[3]. Lorsque feu Monsieur a reçu l’argent du Palatinat, il m’en a donné le double[4]. »

En résumé, soit cadeaux du Roi, soit allocations de Monsieur, Madame avait, bon an, mal an, environ 40 000 livres d’argent de poche, qui font 200 000 francs de notre monnaie, et qui sont plus que n’avaient les reines de France avant Henri IV. De sorte qu’elle serait parfaitement ridicule faisant la pauvresse, si elle n’avait point ses raisons, que l’on verra tout à l’heure.


II

Nous avons laissé[5] l’Électeur Charles-Louis tout heureux du mariage de Liselotte, et escomptant en imagination, à la façon de Perrette, ce que ses bâtards et le Palatinat y gagneraient. La France entretenait avec soin ces rêves rians. La guerre de Hollande était résolue. Notre diplomatie travaillait à isoler l’ennemie de demain, et tous les princes allemands étaient devenus des gens importuns. La plupart étaient déjà acquis à la France, les uns contre argent, les autres « gratuitement, » fait remarquer Hausser, l’historien du Palatinat, et cela est en effet très curieux, puisqu’il ne saurait y avoir de meilleure preuve de l’existence d’un parti français dans l’Allemagne d’alors. Il fallait même que ce parti eût un certain poids pour que la Bavière eût promis, par

  1. Du 20 mai 1689, à l’Électrice Sophie.
  2. Le louis d’argent est plus connu sous le nom d’écu de six livres.
  3. Charlotte de Hesse mourut le 16 mars 1686. À cette époque, Madame avait déjà perdu son père et son frère. Elle héritait, et Monsieur lui en tenait compte.
  4. Du 11 juin 1717, à la Raugrave Louise.
  5. Voyez la Revue du 15 août 1907.