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et, sans doute, les mœurs inhumaines de ce temps y étaient pour beaucoup, mais la conduite double de Charles-Louis y était aussi pour quelque chose. Il se croyait très habile d’agir en dessous, de feindre la fidélité à la France tandis qu’il négociait secrètement avec l’Empereur, mais il n’était pas de taille à tromper l’univers, et n’aboutissait qu’à des équivoques : « Je souffre, écrivait-il à sa sœur le 21 mars 1674, pour avoir fait une alliance avec l’Empereur, et je n’en ai point conclu encore[1], mais j’en suis en bon chemin. J’en suis assisté, mais non pas secouru. Je commande des troupes et ne les commande pas. Je suis marié, et je ne le suis pas. Je suis maître en ma maison, et je ne le suis pas. J’ai des amis qui me plaignent et qui ne m’assistent pas. J’ai des ennemis qui me souffrent, des parens qui me négligent et des indifférens qui me soulagent. »

Les « parens qui le négligent, » c’est d’abord Ernest-Auguste, à qui la neutralité avait réussi et qui vivait tranquille et heureux dans son évêché, plus occupé du passage des canards sauvages que de celui des soldats français : « Ernest-Auguste se divertit à la chasse, annonçait sa femme, et moi, je travaille à des meubles… Jusqu’à cette heure, tout ce qui appartient à Ernest-Auguste a été fort respecté[2]. »

C’est aussi, c’est surtout Liselotte, dont la conduite décevait et irritait l’Electeur. Qu’avait-elle fait pour lui depuis son mariage ? Rien. Elle était continuellement avec le Roi, et pas une fois elle n’avait glissé un mot utile, provoqué un conseil salutaire. Il semblait que ce fût un parti pris. La duchesse Sophie s’étonnait aussi de la trouver si peu secourable. Mieux renseignés sur Louis XIV, le frère et la sœur auraient compris la réserve de Madame. Le Roi n’entendait pas que les femmes se mêlassent d’affaires. Il avait gardé un trop mauvais souvenir de leur entrée tapageuse dans la politique au temps de sa jeunesse, alors que le bataillon des Frondeuses poussait à la guerre civile pour le plaisir, pour avoir des aventures. Louis XIV était capable de faire des exceptions ; il en avait fait une pour sa première belle-sœur, et Mme de Maintenon en sera une autre ; mais il n’avait pas de raison d’en faire pour la seconde Madame, qui ne comprenait goutte à aucune espèce d’affaire, et ne s’en cachait pas. Liselotte aurait été très mal venue à se montrer curieuse

  1. Le traité est du 18 mai 1674.
  2. A Charles-Louis, lettres du 7 novembre 1674 et du 19 juin 1675.