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avis à Votre Altesse Electorale que je suis heureusement arrivé ici avant-hier, et que je suis allé hier chez Liselotte[1]. M. M*** est entré le premier, et a dit qu’il y avait là quelqu’un qui voudrait bien baiser respectueusement la main de Liselotte. Alors il est venu me chercher, et, quand je suis entré, Mme M*** était là. Alors Liselotte a crié : « O noiraud, c’est vous ? O mon petit homme, c’est vous ? » Et elle m’a bien embrassé vingt fois. Ensuite, elle nous a montré ses chambres, à M. M*** et à moi, qui sont très belles. Ensuite, la petite Mademoiselle et Mlle de Valois sont entrées… Ensuite, Liselotte nous amenés, M. M*** et moi, voir emmailloter le duc de Valois, qui sera bientôt aussi grand que Carl-Auguste[2]. Liselotte m’a dit aussi qu’il y avait déjà dix jours qu’elle se levait, et que tout le monde avait dit qu’elle aurait de mauvaises couches et que l’enfant serait malingre, parce qu’elle n’avait pas voulu boire de bouillon. Dieu merci, l’enfant se porte très bien, et il rit quand il voit sa gouvernante, la maréchale de Clérembault. La petite Mlle de Valois est jalouse quand elle voit Liselotte jouer avec le petit prince ; elle arrive en courant et se met à embrasser Liselotte… » Carl-Lutz fut comblé de caresses, fit de bonnes parties de jeu avec sa sœur, et s’en retourna Gros-Jean comme devant.

Six ans plus tard, il revenait. Il avait bon air à cheval, s’était exercé au métier des armes et ambitionnait d’acheter un régiment en France. Monsieur le présenta au Roi, qui le remarqua. Madame chanta ses louanges, et ce fut tout : « Carl-Lutz, écrivit la duchesse Sophie, n’a reçu que de l’encens, mais pas d’argent[3]. » Charles-Louis s’impatienta : « Carl-Lutz, pour n’être pas oisif, va en Angleterre pour tâcher de faire un voyage par mer avec la flotte de ce roi-là… Car aussi bien Liselotte fait aussi peu pour lui que pour moi auprès du Roi très-chrétien[4]… » Une troisième expérience ne fut pas plus heureuse, et Madame découragea d’avance la quatrième : « Je crois, écrivait-elle, que Carl-Lutz n’aurait pas d’avantage à épouser une riche veuve française et à changer de religion, car on ne tient pas du tout, ici, à voir des étrangers se faire catholiques, pourvu que les sujets du Roi se convertissent[5]. » Carl-Lutz était

  1. Madame était accouchée à Saint-Cloud, le 2 juin, du duc de Valois.
  2. L’un des Raugraves, né le 9 octobre 1672.
  3. Lettre à Charles-Louis, du 9 novembre 1679.
  4. A la duchesse Sophie, du 10 janvier 1680.
  5. A la duchesse Sophie, du 27 septembre 1687.