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diamans s’allument à la pointe de leurs blanches pyramides. Une seule étoile, et la chevelure des bouleaux étincelle de pierreries. Une seule étoile, et les eaux gelées de la cascade resplendissent, dans le silence, comme les tuyaux d’un grand orgue argenté.

Le silence ! On compte, du matin au soir, les rares instans où il fut interrompu. Le matin, autour des fermes, la poulie d’un puits grinça ; le seau heurta sourdement contre les pierres ; et ces bruits semblaient s’éteindre à regret dans une immensité qui leur appartenait toute. Plus tard, le grondement d’un marteau sur l’enclume avertit le voyageur qu’il passe à six kilomètres d’une forge. L’après-midi, durant les heures jaunes, on entendit un tintement de grelot qui courait là-bas, très loin, au ras du ciel. Les sons de traîneau, que l’air apporte à travers des étendues inhabitées et que se renvoie la bouche invisible des échos, cette note légendaire des paysages du Nord a je ne sais quoi de magique et de si prenant pour le cœur ! Est-ce un ami ? Est-ce l’hôte inattendu et toujours espéré ? Est-ce l’inévitable malheur qui galope et se rapproche de nous ? N’est-ce qu’une illusion sonore dans le désert de ma langueur ? Parfois on en est très longtemps poursuivi et comme harcelé. L’appel insaisissable vibre devant nous, derrière nous, à droite, à gauche. Cette petite âme argentine et folle qui voltige sur la rose des vents, je la nomme le feu follet du bruit…

Le Vermland est très loin de la Dalécarlie, dont une haie le sépare. Le Dalécarlien, entêté de ses droits et féru de son histoire, reste grave et quasi sacerdotal jusque dans sa jovialité. Le Vermlandais lève son verre et s’écrie : « Bonheur à moi et malheur à personne ! » Il a l’humeur prime-sautière, l’appétit de la joie, le don du rire. Mais son excitation n’est souvent qu’un besoin de tromper son hôte et de se tromper lui-même.

Comme nous sortions du petit port de Kil, les marins nous montrèrent l’endroit où, trois ans passés, la veille de Noël, un bateau se perdit. Seul, le capitaine s’était sauvé ; jamais les plongeurs ne découvrirent le bateau naufragé ; jamais le lac ne rendit une épave ; et, pendant plus d’un mois, huit cercueils attendirent sur un débarcadère les corps des huit matelots engloutis. On comprenait, à les entendre, que l’événement avait travaillé l’imagination populaire. Ils n’eussent pas été plus