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Entre la colonie italienne, en majorité numérique en Tunisie, et la colonie espagnole qui l’emporte en Oranie, l’élément français gardera-t-il l’énergie nécessaire pour imposer sa suprématie ? Restera-t-il l’élément conquérant et assimilateur ? Déjà, par le contact permanent avec les races étrangères, il s’altère et se différencie de plus en plus d’avec les Français de France. Les mariages mixtes sont fréquens, surtout entre Français et Espagnoles. Les influences mystérieuses du sol, du climat, du milieu agissent lentement, mais fortement, sur les hommes qui y sont soumis et contribuent à dessiner peu à peu les traits et le caractère d’une race nouvelle, qui ne sera ni française, ni espagnole, ni italienne, mais algérienne, ou, plus exactement, méditerranéenne[1].

Que cette nouvelle race historique soit en formation, qu’elle doive résulter de l’addition et de la fusion, dans le creuset algérien, d’élémens divers dont le Français, l’Espagnol et l’Italien sont les principaux, c’est ce dont il est impossible de douter, et c’est ce qu’il ne dépend pas de nous d’empêcher. Nous ne pouvons pas compter sur la supériorité numérique, car l’immigration espagnole et italienne l’emporte sur l’immigration française, et le taux de la natalité étrangère est de beaucoup supérieur à celui de la natalité française. La natalité, dans les familles françaises d’Algérie, est de 23 à 24 pour 1 000 ; elle tend à diminuer et à se rapprocher du taux si faible de 21 pour 1 000 qu’elle ne dépasse guère en France. Celle des naturalisés est, d’après les calculs de M. Démontés, de 38 à 39, celle des Espagnols de 33 à 36, celle des Italiens de 33, celle des Maltais de 33 à 36. Mais ce n’est pas le sang, tout seul, qui fait la race, c’est la civilisation et l’histoire. Il dépend de nous, dans une large mesure, que ce peuple nouveau porte à jamais le cachet indélébile du génie français, qu’il soit un peuple de culture, de langue, de mentalité françaises. C’est ce qui nous importe, et c’est à quoi nous devons travailler en ce moment : si la France venait à échouer dans cette œuvre d’assimilation, de conquête pacifique, elle aurait en pure perte sacrifié dans l’Afrique du Nord tant de milliers d’hommes et tant de millions de francs.

Si jamais l’éloquence des chiffres a été significative, n’est-on pas en droit d’être ému de ceux-ci ? Tous ceux que préoccupe

  1. Voyez le roman, si vivant et si documenté, de M. Louis Bertrand : le Sang des races. (Ollendorff, 1899.)