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que d’imaginer des personnages analogues, avec une richesse et une variété d’invention merveilleuses, mais qui, désormais, ne nous a plus caché qu’il les adorait, et souvent nous a obligés, nous-mêmes, a les adorer avec lui. Son Maître de Ballantrae, son Allan Breck, et presque tous les héros de son Naufrageur et de son Reflux, — deux romans où l’amour n’a pas la moindre place, — ce sont en vérité des monstres, des êtres effroyablement dépourvus de scrupules moraux, et cependant si grands dans leur monstruosité, ou bien si généreux et si gais, exhalant une vie si ardente, que nous avons à peine le courage de nous reprocher l’irrésistible affection qui nous attache à eux.

Aussi n’est-il pas étonnant que, à la suite de cet inimitable conteur, une foule de romanciers se piquant de « littérature » aient consacré leur talent à inventer, semblablement, des figures, plus ou moins heureuses, de coquins sympathiques. Une pièce anglaise tirée d’un roman, que l’on est en train de jouer avec succès dans un de nos théâtres parisiens, n’est qu’un médiocre échantillon de la centaine de « gentlemen cambrioleurs, » de magnanimes assassins, de faussaires contrefaisant des chèques par pure curiosité esthétique, qui remplissent à présent les romans ou recueils de contes de MM. Hornung, Morrison, Arnold Bennett, etc. Il y a là une abondante et florissante école d’hommes de lettres qui font ouvertement leur métier de la glorification du vice ; et sans cesse les plus raffinés parmi eux estiment plus piquant, selon l’exemple de Stevenson, d’éliminer de leurs récits toute figure de femme, d’où résulte, en effet, pour nous, l’impression assez inattendue d’un mélange de décence et de corruption. Voilà des livres que l’on serait d’abord tenté de « mettre entre toutes les mains ; » et peut-être, au fait, les y met-on réellement ; et pourtant je jure que la lecture même de la Fille Elisa ne risquerait point de causer autant de ravages dans de jeunes âmes ! Si bien que je pardonnerais malaisément à Stevenson d’avoir contribué à produire cette fâcheuse lignée d’ « immoralistes, » si je ne devinais point que c’est lui aussi, d’autre part, qui a inspiré et nourri l’exquise fantaisie poétique de M. Watson.


On a parfois comparé M. Mariott Watson au vieil Alexandre Dumas, qui paraît bien être aujourd’hui, — soit dit en passant,