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maintenir ou d’implanter, dans les cœurs, la contrainte et les promesses salutaires d’un dogme. De telle sorte que, en apprenant le sujet du nouveau livre du romancier catholique anglais, je me suis attendu à y trouver une réalisation de l’un de mes vieux rêves : mais non, M. Benson est très loin de se faire une idée aussi pessimiste de l’état intellectuel et moral des hommes à venir. Il nous les montre, au contraire, profitant merveilleusement des « conquêtes » pratiques de la science, et jouissant d’une organisation sociale beaucoup plus sage et mieux réglée que la nôtre, et cultivant, en somme, un altruisme des plus enviables, — encore qu’il ait négligé de nous expliquer sur quel principe, à défaut de toute doctrine religieuse, pourront s’appuyer, par exemple, des coutumes telles que la fidélité conjugale, ou le respect de la propriété. Car l’unique différence entre ces hommes du XXIe siècle et les hommes d’aujourd’hui, suivant M. Benson, serait que nos arrière-neveux ne posséderont plus la moindre notion de nos croyances chrétiennes, sauf un très petit nombre de pauvres gens illettrés, qui, sous la conduite du Pape et de quelques prêtres, continueront obscurément à entretenir l’espérance d’une vie future. Et ceux-là mêmes auront à disparaître bientôt. Des profondeurs de l’Orient surgira un homme mystérieux qui, avec une éloquence et un pouvoir de séduction irrésistibles, prêchera une religion nouvelle, le culte de l’Humanité, et exigera que, dans le monde entier, tous les hommes s’unissent pour célébrer les rites de ce culte suprême. Au nom de l’Humanité, toute personne refusant de prendre part à cette célébration sera supprimée, — d’une suppression tout « humanitaire, » doucement et délicieusement, par les procédés les plus affinés de l’euthanasie. Enfin, le Pape et une douzaine de derniers chrétiens, réfugiés dans un village de la Palestine qui sera l’Armageddon de l’Apocalypse, se prépareront, parmi les prières et les chants de louanges, à l’accomplissement de la sentence de mort prononcée contre eux ; et alors, malgré le zèle de ces représentai des Douze Eglises pour apaiser la colère du Très-Haut, cette colère éclatera, selon ce que nous a prédit le Voyant de Pathmos ; et les flammes de la terre et du ciel se joindront pour engloutir les aveugles adorateurs de l’Humanité.

Malheureusement, ce rapide résumé n’est guère fait, je le sens, pour suggérer au lecteur français une idée un peu juste de l’intérêt captivant du livre de M. Benson, — le plus étrange,