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J’espère aussi avoir prochainement l’occasion de parler plus à loisir de M. E. M. Forster, auteur d’un très curieux roman intitulé : Le plus long Voyage[1]. M. Forster nous apprend, sur la page de titre de son livre, qu’il a publié déjà un autre roman : Là où les Anges craignent de poser le pied ; mais je ne puis me défendre d’imaginer qu’il est un tout jeune homme, et bien résolu à se corriger des nombreux défauts qu’il nous laisse voir encore dans son Plus long Voyage. Rarement j’ai lu un récit plus inexpérimenté, affirmant une plus complète ignorance des artifices habituels du roman. M. Forster ne semble avoir aucune idée, par exemple, de l’avantage qu’il y aurait, pour lui, à préparer et à mettre en valeur les scènes importantes d’une action dramatique : il étale toutes ses scènes sur un même plan, ou bien s’attarde à des conversations purement épisodiques, tandis qu’il expédie en quelques pages des événemens que nous aimerions à voir décrits dans tout leur détail. Avec cela, une curiosité non moins puérile des incidens familiers de la vie universitaire : au point que nous croirions entendre un étudiant de Cambridge, persuadé que le monde entier s’intéresse, autant que lui-même, au programme des cours, aux formalités des examens, aux prouesses des joueurs de ballon ou des canotiers. La première partie de son roman, appelée Cambridge, au lieu d’occuper la moitié du volume, aurait dû être concentrée en une vingtaine de pages ; et nous nous serions fort bien passés, également, de maints chapitres dépensés à la peinture de l’existence quotidienne d’un pensionnat, où le héros de M. Forster, après sa sortie de Cambridge, remplit obscurément un emploi de sous-maître.

Ce sont des faiblesses que l’on ne songerait pas à remarquer, ou du moins à déplorer, dans un roman banal ; mais le malheur est que, ici, elles risquent de nuire à l’agrément d’une œuvre toute pleine d’observation et de poésie : car cet ancien étudiant de Cambridge, cet obscur professeur, dont M. Forster nous raconte l’histoire, est certainement l’une des figures les plus aimables qu’il m’ait été donné de rencontrer, dans toute la série des nouveaux romans anglais qui ont défilé sous mes yeux. Il a une âme d’une sensibilité et d’une pureté sans pareilles, acceptant les coups les plus cruels de la destinée avec un sourire

  1. The longest Journey, par E. M. Forster, Londres, librairie Blackwood, 1907.