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Au demeurant, le bluff est à demi sincère ; l’Américain n’est qu’à demi hâbleur, il croit lui-même une partie de ses exagérations et, pour l’autre partie, il entend bien transformer demain en réalité ce qui n’est encore qu’une prétention. Les prétentions longtemps soutenues, se dit-il, ne finissent-elles pas par paraître justifiées ? Les conviés au banquet de la vie n’ont-ils pas d’autant plus de raison de choisir les premières places et de s’y installer d’autorité que c’est la plus sûre manière de les obtenir et même d’en sembler digne. La modestie n’est bonne qu’en apparence.

Ce n’est point là-bas ce dont on abuse ; mais cette satisfaction de soi-même, qui parfois amuse les étrangers, ce n’est pas chez l’Américain charlatanisme ou vantardise ; c’est l’optimisme convaincu d’un homme qui vise au succès par l’effort. Pasteur disait que « donner son maximum d’effort en ce monde, c’est atteindre le but de la vie. » Tel est, moins la formule, dont il se soucie peu comme de toutes les formules, l’idéal du citoyen des États-Unis.

Cet effort, l’arriviste du Nouveau-Monde le donnera suivant les hasards de l’existence dans n’importe quelle voie ; il fera successivement tous les métiers. Aucune rémunération ne sera jugée dégradante par ceux qui la gagnent, parce qu’elle n’est pas davantage jugée telle par ceux qui la paient. Par exemple, il existe dans les universités des étudians pauvres aux gages des étudians riches, dont ils font le service. Dans les collèges français, il semblerait honteux aux élèves peu fortunés de se procurer ainsi, par une besogne domestique, l’argent nécessaire à leurs études ; cela blesserait d’ailleurs le principe d’égalité. Mais nous ne trouvons rien de honteux à faire ses études pour rien, comme boursier, aux frais d’autrui. En Amérique, conquérir par son travail, n’importe lequel, est aussi noble et aussi démocratique que de recevoir par grâce de bienfaisance ou de générosité.

Le besoin général du travail a engendré le goût, puis l’habitude du travail. Il est là-bas plus âpre, plus intense ; qu’il soit ouvrier d’usine ou clerk de bureau, l’Américain se hâte, il court, il veut tirer de sa machine ou de lui-même le degré superlatif de rendement. Tout le monde en fait autant autour de lui et il fait comme tout le monde : l’usage du pays le veut ainsi. S’il est, comme dit le poète, deux routes dans la vie : la patience et l’ambition,