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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/384

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complètement noyés sous cette pacifique inondation anglo-américaine.

On aperçoit déjà au Parlement fédéral les avant-coureurs de la submersion prochaine : à la Chambre des communes, qui seule émane du suffrage populaire, puisque le Sénat est nommé par le gouvernement, les députés « français » ne sont plus que 80 environ sur 214. La constitution politique, c’est-à-dire le British North America Act de 1867, a fixé au chiffre de 65 le nombre des représentans de la province de Québec, la plus française de toutes, et a décidé que ses comtés électoraux, quelles qu’en fussent les variations de population, serviraient de types à ceux des autres provinces. Le comté québecquois, c’est-à-dire le soixante-cinquième de la population totale de la province, est actuellement de 30 000 âmes environ : de 30 000 âmes est donc la circonscription électorale dans tout le Dominion. Il s’ensuit que, à chaque fois que passe vers l’Ouest canadien où on les précipite, un lot de 30 000 émigrans de race anglaise, c’est un député anglais qui s’achemine vers le Parlement d’Ottawa. Il n’est même pas de plus sûr moyen d’annihiler la minorité « française » que d’écarter les immigrans de la province de Québec et de les entraîner vers l’Ouest ; l’on fait ainsi coup double : 1° en ne peuplant point la province de Québec, l’on maintient partout le chiffre de la circonscription électorale au nombre de 30 000 habitans ; 2° l’on prépare directement de nouveaux sièges de députés au Canada anglais de l’Ouest. Or il est entré, en 1906, 156 000 Anglais et Américains pour moins de 3000 émigrans de langue française : en conséquence, cinq nouveaux députés anglais vont bientôt prendre la route d’Ottawa et y augmenter l’écrasante prédominance de la majorité anglaise, sans que rien vienne renforcer la petite phalange des 80 « Français. » On comprend que l’Angleterre ne laissera, pas plus que les nouveaux citoyens eux-mêmes, se perdre les avantages que la Constitution lui confère, et, à l’ouverture solennelle du Parlement canadien, au mois de novembre 1906, nous avons entendu le gouverneur général du Canada, lord Grey, déclarer au Parlement, dans le discours du Trône, à la suite du voyage qu’il venait d’effectuer dans l’Ouest, que ces nouvelles provinces réclamaient une augmentation du nombre de leurs représentans. Il se réjouissait de constater que, parmi les émigrans, une plus forte proportion que jamais était venue des Iles Britanniques. On devine si les nouveaux élus seront Français ou Anglais.