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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/613

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mouvement enfin qu’on ne saurait trop admirer. Toujours fidèle à ses théories, l’unique objet de Brunetière est de « définir, d’expliquer et de caractériser » l’œuvre de Balzac ; et c’est merveille de voir comment à ce dessein essentiel il subordonne, — et fait servir en même temps, — tout ce qu’il sait du grand romancier, de sa vie, de la bibliographie de ses livres, des jugemens critiques qui ont été successivement portés sur eux, enfin de l’histoire générale du roman et de la littérature du XIXe siècle. Etudié ainsi en lui-même, et dans les circonstances qui l’ont « conditionné, » le roman de Balzac nous apparaît avec ses caractères propres, c’est-à-dire avec ceux qui le différencient de tous les autres romans ses devanciers et ses contemporains : nous en comprenons la signification historique, la valeur esthétique et la portée sociale ; nous en saisissons la vraie « moralité, » — les pages que Brunetière a écrites là-dessus sont peut-être les plus pénétrantes du livre tout entier, — nous en mesurons enfin l’influence. Et conduits par un guide que la minutie du détail érudit n’empêche jamais de voir et d’embrasser les ensembles, nous sommes allés, en quelque sorte, jusqu’au fond d’une personnalité littéraire extrêmement riche et forte, et nous l’avons exactement « située » dans l’histoire du genre et dans l’histoire de l’art.

A tous ces mérites, il en faut joindre un autre qui explique peut-être l’intime préférence que de fort bons juges semblent avoir pour ce petit livre. Si Brunetière a parlé de Balzac avec tant d’enthousiasme et avec une chaleur de sympathie si communicative, c’est qu’il y avait entre le grand écrivain et son critique de secrètes affinités électives. Brunetière était un puissant, comme Balzac, et, comme lui, un infatigable ouvrier de Lettres, tout entier absorbé par son œuvre, vivant d’elle et ne vivant qu’en elle, intarissable en projets de toute sorte, dépensant généreusement et sans compter, en discours, en articles, en livres, en idées prodigalement semées, toute la verve qu’il sentait en lui. Il fut ainsi jusqu’au bout, par besoin inlassable de produire, de répandre sa pensée, d’agir sur les esprits par la parole et par la plume. On a pu dire de Sainte-Beuve, si fécond lui aussi, qu’il ne se sentait à l’aise, pleinement à l’aise, qu’avec les