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Mais d’autres convoitises travaillaient le cœur de ce vaniteux. Il avait préféré le club à l’atelier, la politique au labeur, et mérité ainsi toutes les gloires d’un Panis, d’un Pache, voire d’un Momoro. Ces sortes de lauriers sont faciles à cueillir ; d’ordinaire, l’artiste, le lettré, et surtout l’honnête homme, en dédaignent la banalité ; mais, âme assez vulgaire, Sergent ne fut toujours qu’un artiste incomplet, et dans sa vie publique qu’une moitié d’honnête homme. Parleur, discoureur, péroreur, possédant ce bagout sonore, cette ignorance grandiloquente qui grise et fait délirer le populaire de France, il devint bien vite à Paris une illustration de quartier, un génie, une idole, toute une façon d’austère Pétion. « Monsieur Populo » lui avait alors prodigué sa faveur : l’écharpe de municipal, le panache de président de la quarante-et-unième section, le bonnet rouge de secrétaire aux Jacobins, même une place de banquette sur la Montagne de la Convention. Là, Sergent avait voté la mort de Capet, mis hors la loi les Girondins, réclamé le supplice de Bailly, terrorisé le Modérantisme, sans-culottisé la Nation. Pas méchant, néanmoins, en dépit de telles offrandes à la guillotine ; mais semblable à beaucoup d’autres, naïf et béatement sectaire, croyant aux phrases qu’il débitait, voyant dans le couperet de Charlot la panacée sociale, voulant « sauver la République » et s’estimant Spartiate, c’est-à-dire vertueux !… Sa vertu, cependant, avait reçu quelques éclaboussures. Dans la journée du Dix Août, conduisant son peuple souverain à l’assaut des Tuileries, Sergent, aidé des camarades, avait par trop bien nettoyé la « caverne du despotisme. » Des montres, des camées, des joyaux s’étaient engouffrés dans maintes carmagnoles, et une agate merveilleuse avait tout à coup disparu. D’une beauté sans pareille, racontait la légende, gemme orientale et fabuleuse, elle valait à elle seule les trésors de Golconde. Volée ! Or, d’aucuns affirmaient que le graveur l’avait, en une extase, admirée tant et tant qu’il n’avait pu s’en séparer. Aussi, les plaisantins ne nommaient plus ce connaisseur en pierres fines que le « Sergent d’Agathe. » L’insultante facétie faisait depuis longtemps le désespoir du cher homme ; son austérité montagnarde s’indignait et se récriait : « Mensonge de sycophante ! Il avait emporté le bijou, mais pour le conserver à la Patrie… » Quoi qu’il en soit, Verres ou Aristide, avec ou sans l’agate, ce citoyen si patriote occupait, en 1802, l’hôtel, devenu hôtellerie, des présidens Masson de Meslay.