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bombances. D’ailleurs, pareils à quelque manne céleste, écus et louis d’or tombaient, certains jours, sur plusieurs de ces besogneux… En vérité, d’où provenait l’argent ? Un philanthrope, un philadelphe existait quelque part, — occulte providence ou, pour mieux dire, fauteur du ténébreux complot.

Que voulaient ces gens-là ?… Assassiner Bonaparte, — sans autre programme politique. Sa mort, tous la désiraient ardemment ; mais ils ne s’accordaient pas sur la façon d’accomplir le meurtre.

Les uns prétendaient assaillir le Consul sur le chemin de la Malmaison. Un guet-apens, affirmaient-ils, serait, à la nuit tombante, d’exécution facile. La route de Saint-Germain traversait, en 1802, des terrains non bâtis où s’ouvraient et s’entre-croisaient plusieurs carrières abandonnées : vingt gaillards résolus, ayant poignards et pistolets en poche, s’y pouvaient aisément blottir. Chaque soir, dès les premières floraisons du printemps, Bonaparte allait se reposer dans la fraîcheur de son verdissant ménil ; une faible escorte, simple piquet de chasseurs de la Garde, accompagnait sa voiture : il était donc assez mal protégé. Eh bien ! on l’attaquerait entre Courbevoie et Nanterre ! Au signal donné par un chef, les hommes de l’embuscade sortiraient de leur cachette, disperseraient les cavaliers, arracheraient de sa calèche l’odieux tyran, le Corse infâme, et, sur le bord du chemin, exécuteraient ce misérable…

Impossible ! critiquaient les adversaires d’un si beau plan. La voiture consulaire roulait toujours d’une allure emportée, brûlant le pavé de la route, passant et filant dans un nuage de poussière. Arrêter la rapide cavalcade était trop chanceuse entreprise ; les balles n’atteindraient pas leur but, et alors… alors c’était la guillotine pour les héros de l’aventure… Non ; mieux valait abattre la bête, à Paris même, et sans risquer la place de Grève.

Plus rusés, mais non moins brutaux, ceux-ci préconisaient un autre mode d’assassinat ; ils voulaient frapper l’ennemi détesté devant la porte de son palais. Leur invention était fort ingénieuse. Après chaque revue décadaire, le Consul, — nous l’avons dit plus haut, — faisait ouvrir la grille du Carrousel ; le populaire pénétrait aussitôt dans la cour des Tuileries, s’approchait de Bonaparte, l’apostrophait, dialoguait avec le « cher petit homme, » lui remettait maintes pétitions. « Quoi de plus facile,