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aux montpensiéristes, à tous les ambitieux. Prim, contraire à l’idée, parut ne pas la repousser. Il demanda seulement, avant toute démarche, le consentement d’Espartero. On fut obligé de convenir qu’on n’avait pas même parlé au vieux général. Un ami, Nadoz, se rendit auprès de lui avec l’autorisation de Prim, et, malgré de vives insistances, rapporta un refus. Tous les candidats ainsi écartés, Prim se fit donner par le Régent et les Cortès le mandat d’en chercher un, où, quand, et comment il le jugerait bon. Le voilà donc devenu le maître absolu de la situation, Hohenzollern entre en scène.

Bernhardi et Salazar, depuis qu’ils s’étaient concertés, avaient multiplié leurs démarches en faveur du candidat de Bismarck. Salazar le prônait auprès des Cortès et des hommes politiques, et Bernhardi parcourait les provinces en répandant le nom de son candidat ; comme il parlait anglais avec perfection, on ne soupçonnait pas que cela vînt d’un Allemand. Le thème de tous deux était le même : « le prince appartenait à la famille royale d’une des premières nations de l’Europe ; si on l’appelait au trône, il ouvrirait aux Espagnols un horizon plus large que les Pyrénées ; si elle les voyait favoriser l’un de ses enfans, l’Allemagne resserrerait plus étroitement ses attaches avec eux et leur enverrait une portion de la belle population qui, aujourd’hui, porte aux États-Unis le capital, l’activité, l’habileté. » Quelques patriotes de vieille souche et de mémoire tenace reprochaient-ils au candidat son alliance avec les Murat[1] : « C’est un titre de plus, répliquaient les deux compères ; n’est-ce pas la trahison de Murat qui a achevé Napoléon Ier en 1814 ? »

Tout ce remuement n’émouvait ni les Cortès, ni le pays, et n’eût abouti à aucun résultat pratique si Prim ne l’avait pris en main. Les raisonnemens de Bernhardi et de Salazar n’étaient pas de ceux qui convainquent un gentilhomme de cette espèce. Il lui fallait des argumens sonnans. Aucun de ceux qui ont pénétré les dessous de cette affaire ne doute que Bismarck ne les ait employés[2].

  1. La princesse Marie-Antoinette, aïeule de Léopold était, non pas la fille, mais la nièce du roi de Naples.
  2. Un publiciste anglais des mieux renseignés, sir Rowland Blennerhassett, a écrit dans une étude remarquable, Origin of the Franco-Prussian War (National Review, octobre 1902) : « On a souvent demandé si, à ce moment ou à un autre, (avril 1870, lorsque Lothar Bucher et Versen furent envoyés en Espagne), de l’argent avait été fourni par les agens prussiens pour pousser la candidature Hohenzollern. J’ai des raisons de penser qu’une somme très considérable fut dépensée pour cette cause. Des indications de ceci pourraient être trouvées dans les papiers de feu lord Acton et des preuves pourraient être fournies par une certaine maison de banque que je pourrais nommer. »