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une flexibilité qui le rendront, à un moment donné, maître des austères et profondes émotions.


VI

Ici s’arrête la carrière de M. Asquith. De la retraite de sir Henry Campbell Bannerman va dater pour lui une nouvelle phase, pleine de périls, mais, peut-être, pleine de gloire.

Villars disait à Louis XIV : « Sire, prenez-moi. Je suis le seul de vos généraux qui ait toujours été heureux à la guerre ! » Et, Louis XIV, rendu superstitieux par les revers, prenait le maréchal comme un fétiche, et la journée de Denain justifiait cette inspiration. Si les souverains anglais choisissaient leur premier ministre comme le grand Roi choisissait ses chefs d’armée, M. Asquith aurait pu parler à Edouard VII en empruntant le langage de Villars. Les circonstances l’ont toujours servi, mais, on le sait, elles ne servent que ceux qui savent se servir d’elles. Les fées ont écarté, l’un après l’autre, par des raisons différentes, tous les chefs, actuels ou possibles, du parti libéral : Dilke, Morley, Rosebery, Harcourt, Campbell Bannerman. Mais les fées auraient travaillé en vain pour lui ouvrir l’accès du pouvoir si leur filleul ne s’était pas montré, d’avance, capable de l’exercer.

Que fera M. Asquith de sa haute fortune ? Que sera-t-il au pouvoir ? Ce qu’il a été jusqu’ici et quelque chose de plus qui va se révéler, car la responsabilité suprême dévoile des forces ou des faiblesses, encore insoupçonnées du public et, peut-être, de celui-là même en qui nous les découvrons. M. Asquith nous arrive avec un programme parfaitement connu. Nous savons qu’il fera la paix sur la question de l’éducation religieuse, mais qu’il ne la fera point sur la question de la tempérance. Il ne peut avoir la prétention de lutter, à la fois, contre l’Eglise et contre les cabaretiers : deux énormes puissances électorales. Je suis persuadé que son choix est fait et qu’il combattra désespérément les brasseurs et les publicains, obligeant ainsi les évêques à lui prêter main-forte, en dépit d’eux-mêmes. Il est permis de croire que M. Asquith se contentera, en ce qui touche la Chambre des lords, des concessions que cette Chambre voudra bien lui faire, sous l’influence de lord Rosebery qui, cette fois encore, va tirer d’embarras le parti libéral. Et il est