Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restaurer le vieil équilibre européen, seule garantie de paix dans le présent comme dans le passé.

Reste la question sociale. Par les mesures qu’il a proposées lui-même comme par celles auxquelles il s’est associé de sa parole et de son vote, M. Asquith s’est montré le partisan de l’interventionnisme que beaucoup de gens regardent, non sans raison, comme la préface du collectivisme. La loi sur les retraites ouvrières (old age pension) est un pas plus décisif encore dans cette voie, et M. Asquith pourra y fournir de nouvelles étapes. Pourtant, tout le monde pressent qu’à un moment donné il se retournera et tiendra en échec ceux qui prétendraient l’obliger à aller plus loin. Les socialistes du parlement en sont tellement convaincus que, déjà, ils lui escomptent l’impopularité à laquelle le condamnera inévitablement ce changement de front, tandis que les vieux libéraux se demandent, avec quelque inquiétude, où il s’arrêtera et s’il se retournera à temps. M. Asquith appartient au radicalisme bourgeois, et le radicalisme bourgeois peut, suivant les cas et, surtout, suivant les tempéramens, devenir le sauveur de la société actuelle ou la livrer, pieds et poings liés, à ses destructeurs. Si on veut le comprendre, ou le deviner, il faut se rappeler qu’il n’est pas le continuateur de Campbell Bannerman, mais le continuateur de Gladstone. Asquith est un Gladstone, moins la chimère du Home Rule, moins le côté émotionnel et imaginatif, moins ces étranges envolées qui, parfois, nous éblouissaient, mais qui, parfois aussi, faisaient douter du parfait équilibre de ses facultés ; un Gladstone chez qui le bon sens serait le trait dominant, mais animé, comme son prédécesseur et son modèle, d’une véritable passion pour la réforme sociale, à condition de ne jamais la séparer de la réforme morale ; un second Gladstone qui commence là où le premier a fini.

Mais peut-être que je me trompe et que M. Asquith remonte plus haut que Gladstone.

Regardez bien cet homme aux lèvres serrées, au front sévère, en qui n’apparaît aucun des signes de la vie sensuelle et qui n’a connu d’autre distraction qu’une partie de whist ou une partie de golf ; ce bourgeois de mœurs pures, dont sept enfants sont venus successivement entourer le foyer ; mari d’une mondaine, mais d’une mondaine révoltée contre les puériles tyrannies du monde. Regardez aussi ceux qui le suivent et vous comprendrez qu’une race d’hommes qui a fait de grandes choses, mais qui a