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Le Roi s’opposait à cette aventure par plusieurs raisons. D’abord il la trouvait risquée et il lui déplaisait d’y exposer la dignité de sa maison. Ensuite il savait que cela froisserait l’empereur Napoléon, dont la prédilection envers Alphonse était notoire ; enfin il craignait, étant données les dispositions de l’esprit français, des complications graves, et il n’en voulait pas. S’il s’en fût tenu à son premier avis, l’affaire n’eût pas commencé. D’après les statuts et traités, les princes de la branche catholique des Hohenzollern étaient astreints à n’accomplir aucun acte important de leur vie privée ou publique qu’après l’approbation formelle et préalable du chef de la famille. Ces princes ne contestèrent dans aucune occasion cette obligation de discipline ; ils se firent au contraire honneur et gloire de s’y soumettre. Sybel est le seul historien sérieux qui ait soutenu la thèse de mauvaise foi que le consentement du Roi n’était pas nécessaire. « Que le Roi ait pu comme chef de famille, a dit Ottokar Lorenz, interdire l’acceptation de la couronne au prince, cela ne peut être mis en doute par personne[1]. » — « Il est certain, dit encore Hans Delbrück, qu’aucun prince Hohenzollern n’aurait pris une telle résolution sans s’être enquis avec sollicitude de la volonté royale et sans en avoir tenu entièrement compte[2]. »

Si donc le Roi eût dit non, il eût tout arrêté, d’autant mieux que c’était le sentiment des princes eux-mêmes. Mais toute la politique allemande de Bismarck dépendait du succès de sa trame espagnole, et son influence sur son maître était alors plus prépondérante qu’elle ne le fut à aucun moment. Il combattit le veto et trouva une auxiliaire très persuasive dans la femme du prince Léopold, délicieusement belle et aussi ambitieuse pour son mari que l’avait été pour le sien la malheureuse princesse Charlotte[3]. Cependant, ni les cajoleries de la princesse Antonia, ni les raisonnemens de Bismarck ne réussirent d’abord à vaincre la répugnance royale. La concession qu’on obtint fut que le Roi ne prononcerait pas un « non » prohibitif et qu’il se replacerait

  1. Wilhelm Ier, p. 213.
  2. Preussische Juhrbücher.
  3. Elle a péri comme elle par la folie.