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harka, restés fort dangereux. Rien n’est plus vraisemblable. L’assaut a été brillamment repoussé, mais les assaillans n’ont pas été écrasés. La leçon qu’ils ont reçue n’a pas été assez forte, et nous avons encore quelque chose à venger. Sur la frontière algérienne, nous ne pouvons pas nous contenter d’un demi-succès.

Malheureusement, la plus grande partie de nos forces disponibles continue à être occupée du côté de Casablanca. Notre situation s’est étendue et développée ; mais elle ne s’est pas pour cela sensiblement éclaircie, et nous ne savons pas beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a six mois quelle sera l’issue de l’aventure où nous sommes engagés. Il serait cependant grand temps de le savoir. On affirme, nous l’avons dit, que Moulaï Hafid n’a plus aucune force, qu’il est abandonné de tous et que, d’ici à peu, il ne pourra plus tenir la campagne. Nous le souhaitons, sans en être sûr, et ceux mêmes qui l’affirmaient hier le plus haut n’en sont plus aussi sûrs aujourd’hui, car la nouvelle commence à se répandre que Moulaï Hafid marche sur Fez et qu’il pourrait bien y arriver avant son frère. Quel que soit l’événement, le Maroc, dans l’état d’anarchie où il est et d’où il ne semble pas destiné à sortir de sitôt, peut fort bien se diviser en plusieurs tronçons. A supposer qu’Abd-el-Aziz rentre à Fez le premier, ce n’est pas une raison nécessaire pour qu’il vienne à bout de Moulaï Hafid, pas plus qu’il n’est venu à bout du mahdi, pas plus qu’il n’est venu à bout de Raissouli ; les uns et les autres peuvent vivre à côté les uns des autres, non pas seulement des mois, mais des années. Mais Abd-el-Aziz reviendra-t-il à Fez ? On affirme que sa mehalla est prête, qu’il va se mettre en campagne, qu’il a noué des intelligences avec les tribus qui le séparent de sa capitale, qu’il est plein d’espérances, et que ses espérances sont fondées. Tant mieux ; nous nous en réjouissons fort ; mais nous entendons dire tout cela depuis si longtemps que nous commençons à nous demander sérieusement si on ne désespère pas alors qu’on espère toujours. Nous aura-t-on assez parlé de la grande mehalla d’Abd-el-Aziz ! Nous aura-t-on assez répété qu’elle allait partir et même arriver ! Il ne nous reste plus qu’à voir la réalisation de ces prophéties. Rien ne nous serait plus agréable que d’apprendre l’heureuse rentrée du Sultan dans sa capitale reconquise ; ce serait pour lui un point de gagné et un point important ; mais nous n’avons pas l’illusion de croire que ce point emporterait tous les autres. Le lendemain, du jour où il aura couché à Fez, — s’il y rentre, — le Sultan se trouvera aux prises avec des difficultés presque inextricables, non seulement dans le reste du pays, mais à Fez même.