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appartenait à la famille royale de Prusse, et qu’il s’appelait Hohenzollern. On avait d’abord pensé au prince Charles, on avait passé au prince Léopold, on se contentait à la rigueur du prince Fritz. Était-il capable, ne l’était-il pas, cela importait peu ; l’essentiel était qu’il s’appelât Hohenzollern, c’est-à-dire que ce fût un nom qui alarmât les intérêts de la France et blessât ses susceptibilités. Il n’y aurait vraiment dans le monde ni justice, ni loyauté, ni bon sens, si, en présence de tels faits, on se demandait encore de qui est venue la provocation à la terrible guerre.


V

Il importait fort au gouvernement prussien que Benedetti ne soupçonnât rien de ce qui se préparait. L’arrivée à Berlin du ministre espagnol, Rancès, l’avait mis en alarmes l’année précédente. Celle des princes de Hohenzollern n’allait-elle pas réveiller ses soupçons ? On alla au-devant de sa prévoyance et on lui fabriqua de toutes pièces un roman propre à le rassurer. Des officieux bien dressés vinrent d’un ton mystérieux lui raconter que le prince Antoine, le seul auquel le Roi confiait ses pensées secrètes, avait révélé à un ambassadeur Un grand projet en préparation. Il s’agissait de décider les États du Sud, tout au moins les grands-duchés de Bade et de Hesse, à demander d’entrer dans la Confédération du Nord, en offrant au Roi le titre d’empereur d’Allemagne. On lui indiquait même les moyens dont on se servirait, afin d’exercer une influence décisive sur les résolutions des rois de Bavière et de Wurtemberg. « On insinuerait à l’un qu’il était menacé de perdre sa couronne dans une révolution de palais, et à l’autre, qu’il n’avait pas moins à redouter des démocrates en majorité dans la Chambre des députés à Stuttgart. Le gouvernement prussien enfin ne pouvait plus lui-même ajourner l’avènement de l’unité germanique ; il y était encouragé par la situation embarrassée de la plupart des grandes puissances de l’Europe, et contraint par ses difficultés intérieures. C’est ainsi que se seraient énoncés le prince de Hohenzollern et le grand-duc de Bade, en s’entretenant des calculs de M. de Bismarck. »

Benedetti, ainsi mis sur une fausse piste, ne soupçonna pas qu’il s’agît de la candidature espagnole. Il ne s’occupa que de rechercher les renseignemens sur cette résurrection