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à la porte des casernes où la surveillance des chefs s’exerçait ; on poursuivait les soldats dans la rue, dans les cabarets, on les attirait dans les réunions publiques. Un chasseur à cheval et un caporal du 50e se montrèrent sur l’estrade. Le caporal dit tout haut qu’ayant peu de mois de service à faire, il se moquait de ce qui pouvait lui arriver ; sur quoi Emmanuel Arago vint lui serrer la main. La propagande antimilitariste devint le principal objet de l’activité révolutionnaire. On avait réussi à glisser dans les casernes un catéchisme à l’usage du soldat dans lequel il était demandé : « Que doit-on faire quand un officier ordonne de faire feu sur le peuple ? — Réponse : Tirer sur lui. »

Les révolutionnaires avaient en vain essayé l’insurrection lors de l’affaire Victor Noir ; des journées et des barricades lors de l’arrestation de Rochefort ; des grèves au Creusot et ailleurs. Partout ils avaient piteusement échoué ; il ne leur restait qu’un moyen, l’assassinat. Flourens crut l’occasion propice de l’organiser. C’est dans l’armée qu’il chercha l’assassin. Il crut avoir trouvé son instrument dans un nommé Beaury, soldat déserteur, et un coquin de même trempe, Fayolle. Il les embaucha et les envoya à Paris pour assassiner l’Empereur. Un des complices, Ballot, dénonça l’entreprise.

La découverte de ce complot nous fut pénible : il nous était impossible de ne pas le poursuivre, et nous ne doutions pas que la mauvaise foi révolutionnaire ne le présentât comme une invention de la police. J’eusse désiré ne pas rompre le secret de l’instruction et, tout en poursuivant avec vigueur, ne pas en faire la confidence au public par un éclat révélateur. Mais les arrestations firent du bruit ; on alla aux renseignemens ; la presse parla ; la rumeur d’un complot contre la vie de l’Empereur devint une nouvelle publique. Les journaux démocratiques nièrent effrontément et dénoncèrent aussitôt « notre manœuvre de la dernière heure. » Les journaux favorables au Cabinet, déconcertés par ces dénégations, ne savaient que penser. Les Débats nous disaient : « Il importe qu’aucun doute ne puisse s’élever sur la réalité de ce complot ; il est bon qu’avant le vote, des documens nombreux et décisifs aient été publiés, des preuves péremptoires portées à la connaissance des électeurs par la voie de la presse ; il est nécessaire qu’au moment où nous serons appelés à voter, il ne puisse pas rester dans l’esprit des gens de bonne foi un doute sur l’exactitude des faits révélés