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deux yeux sourians et fins. Son commerce était égal, agréable ; il y apportait un tour d’esprit de grâce enjouée et de spirituelle malice qu’il tenait de sa délicieuse mère. On a dit que dans sa politesse, il y avait quelque chose de dédaigneux, je ne l’ai jamais vu ainsi. Quelque insouciance entrait dans cette nature élevée, ce qui, joint à un sentiment de l’honneur toujours en éveil, en faisait le type accompli de notre vieille aristocratie. Il voyait les choses à vol d’oiseau et n’avait pas de goût à se perdre en leurs profondeurs, mais cette vue était claire et juste. Il connaissait les prudences de la diplomatie ; il avait toujours voulu en ignorer les astuces : dans la plupart des dépêches de nos ambassadeurs, le pour et le contre se coudoient et se succèdent afin de parer le démenti des faits ; lui avait un avis décidé ; il l’exprimait fermement dans une langue correcte, aisée, ample, et il ne se préparait pas un argument de sortie pour entrer dans l’avis contraire. Comme ministre des Affaires étrangères, il avait deux qualités précieuses : le sang-froid qui le mettait à l’abri des entraînemens irréfléchis et un courage de résolution qui le préservait des pusillanimités avilissantes. Il n’y avait pas non plus à craindre qu’il désavouât après un insuccès ce qu’il avait trouvé bon avant ; il ne changeait pas selon l’événement, et en toute occasion, il se rappelait la devise de sa maison : Gratia Dei sum id quod sum.

A Turin et à Rome, il avait assisté à la conquête de l’Italie par le Piémont. A Vienne, il observa celle de l’Allemagne par la Prusse ; il n’en garda une vive sympathie pour aucun des deux conquérans, et n’était pas sans inquiétude sur le péril auquel nous exposait ce double voisinage d’ingratitude et de haine. Toutefois, il se rendait compte de ce qu’a d’impérieux le fait accompli et, sans désespérer d’un certain redressement dans l’avenir, il pensait que ce redressement ne résulterait que d’une crise intérieure de l’Allemagne ou de l’Italie et non d’une intervention guerrière de notre part. Il exprimait son véritable état d’esprit en écrivant de Vienne à un journaliste parisien : « Ne croyez pas que ma petite politique, qui est le fruit d’une expérience de dix-huit ans, soit la guerre ou les aventures ; pas le moins du monde. Je ne suis ni prussien, ni autrichien, ni italienne suis français de la tête au cœur ; mais je voudrais prévoir les événemens, au lieu d’être toujours surpris, entraîné, remorqué par eux. Je trouve que nous avons trop souvent employé, à