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Comme il était de la plus haute importance que la Prusse ne pût pas se douter de cette alliance, on était convenu de garder le secret absolu, tellement absolu que le gouvernement français n’avait pas informé même son ambassadeur à Vienne.

En apprenant la nomination de Gramont, Beust télégraphia à Metternich de demander à l’Empereur qu’il l’autorisât à le mettre au courant de la situation. L’Empereur répondit qu’il préférait que Beust ne parlât de rien et qu’il se réservait de tout apprendre à son nouveau ministre. Beust insista, chargeant Metternich de représenter à l’Empereur qu’il était absolument impossible qu’il ne dît rien, alors qu’à son retour à Paris, Gramont découvrirait qu’il lui avait caché un fait si important. L’Empereur consentit, et ce consentement venait d’arriver par le télégraphe. « On comprendra facilement, écrit douloureusement Gramont dans ses Souvenirs, l’effet que produisirent sur mon esprit de semblables révélations. Depuis près de neuf ans, je représentais l’Empereur à Vienne ; les éloges constans, les témoignages de satisfaction qu’il m’avait donnés, ma récente nomination aux Affaires étrangères que je n’avais pas sollicitée, tout m’autorisait à croire que la confiance de mon gouvernement m’était acquise, et cependant, depuis près d’un an, on négociait à mon insu un traité dont j’aurais dû être le premier instruit et le négociateur légitime ; depuis près d’un an, je me rencontrais presque chaque jour avec le chancelier et il existait entre lui et l’Empereur des secrets dont j’étais exclu ! »

Beust mit sous les yeux de Gramont le texte d’un traité à trois entre la France, l’Autriche et l’Italie, dont un exemplaire était également à Paris entre les mains de Metternich, chargé d’en poursuivre la conclusion. C’était une alliance offensive et défensive déterminant la part et le mode d’action de chacune des parties et leurs engagemens réciproques suivant les éventualités. Le traité n’était pas signé, parce que Victor-Emmanuel avait déclaré que, sans l’évacuation du territoire pontifical, il lui était impossible d’entrer en arrangement. Or, jusqu’à ce jour, Napoléon III n’avait pas cru pouvoir prendre un engagement équivalant à l’abandon du Pape aux convoitises de ses ennemis. Beust déplorait ce qu’il appelait un scrupule exagéré, et il croyait le moment venu de laisser l’Italie s’arranger seule avec le Pape. Le traité n’avait donc pas été signé et ratifié, mais pour qu’il en restât quelque chose et que les négociations portassent quelque