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des deux ministres on n’instruisit de la négociation, à Londres que Gladstone et la Reine, à Paris que l’Empereur et moi. Loftus engagea la conversation très confidentiellement à Berlin. Bismarck déclara sèchement qu’il était impossible de modifier un système militaire entré profondément dans les institutions du pays et qui formait une des bases de sa constitution. Il ne ferait même point part au Roi de cette suggestion du gouvernement britannique ; il était assez au courant de la manière de voir de son souverain pour pressentir ses impressions et il verrait dans la démarche du Cabinet de Londres une preuve d’un changement « dans les dispositions de l’Angleterre à l’égard de la Prusse. » Il entra ensuite dans des considérations techniques : l’état militaire de la Prusse n’avait rien que de strictement exigé par l’étendue de ses frontières et par le nombre d’ennemis qui pouvait les assaillir. — Il ne « comprenait pas qu’on pût s’inquiéter des intentions de la Prusse : elle n’était pas nation conquérante. »

Stoffel, toujours serviable à son ami Bismarck, nous expliqua, dans un rapport, « qu’un gouvernement qui songerait à proposer un désarmement au gouvernement prussien ferait preuve de la plus coupable ignorance de l’organisation militaire et des institutions fondamentales de la Prusse[1]. » Il n’y avait rien de contraire aux institutions fondamentales de la Prusse dans l’idée d’un désarmement. Sans doute tous les citoyens prussiens doivent le service militaire, et pendant la guerre tous s’en acquittent en réalité. Pendant la paix, les exceptions à cette incorporation universelle sont nombreuses ; sur 160 000 jeunes gens propres au service on n’en incorporait annuellement que 100 000 ; le reste entrait dans la réserve de recrutement appelée en cas de guerre seul. Qui empêcherait d’augmenter cette réserve de recrutement et, au lieu d’appeler annuellement 100 000 hommes, de se contenter de 80 000 ? Répondrait-on que le chiffre de l’effectif de paix avait été fixé par l’article 60 de la Constitution à 1 pour 100 de la population ? Mais cet effectif n’avait été réglé ainsi que jusqu’au 31 décembre 1871. « À cette époque, disait l’article 60, il serait fixé par voie de législation fédérale. » Qui empêcherait de changer alors la pro portion établie ? Cela ne paraissait pas impossible, puisque le député prussien Wirchow le proposait. Le principe du service

  1. 25 avril 1869 et 28 février 1870.