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ses travaux par la signature de l’Acte général de Berlin qui trace les limites du bassin du Congo, fixe sa législation économique, y consacre le principe de la liberté commerciale entendue dans son sens le plus absolu, ainsi que la liberté de conscience et d’établissement garantie pour tous, édicté des mesures spéciales pour combattre la traite des esclaves et proclame la liberté de la navigation sur le Congo et le Niger, et sur leurs affluens.

« Le nouvel État, » déclara Bismarck avant de lever la séance, « est appelé à devenir un des principaux gardiens de l’œuvre que nous avons en vue ; je fais des vœux pour son développement prospère et pour l’accomplissement des nobles aspirations de son illustre fondateur. »

Léopold, d’après la Constitution belge, ne pouvait devenir souverain d’un autre pays sans l’autorisation du Parlement. Il annonça donc ses projets dans un message où il était dit que « le nouvel État serait indépendant comme la Belgique, et jouirait comme elle des bienfaits de la neutralité. Il n’y aurait entre la Belgique et le Congo qu’un lien personnel qui ne pourrait entraîner, en aucun cas, des charges pour la Belgique. » Les deux Chambres autorisèrent le Roi à prendre possession de ce trône exotique et, le 19 juillet 1885, sir Francis de Winton (un Anglais, chose piquante), qui avait succédé à Stanley comme administrateur général, proclamait à Banana, dans une cérémonie solennelle, la constitution de l’État indépendant. La nouvelle fut notifiée aux puissances, qui en accusèrent aussitôt réception.

Par sa patience et son habileté diplomatique, le monarque constitutionnel d’un petit État s’est donc érigé en souverain absolu d’une contrée immense qu’il n’a point visitée et qu’il gouverne, depuis vingt-trois ans, avec une omnipotence que Louis XIV lui-même ne connut jamais.

M. Paul Leroy-Beaulieu a déclaré que « Léopold II mérite d’être compté au rang des plus grands souverains de ce temps comme créateur d’empire. » L’éloge ne paraîtra pas exagéré si l’on songe à l’œuvre colossale que ce prince a su accomplir dans un pays grand comme quatre-vingts fois la Belgique et peuplé de sauvages adonnés au fétichisme, à l’anthropophagie, constamment en guerre les uns contre les autres et sans cesse exposés aux razzias des marchands d’esclaves. Après avoir réussi à pénétrer pacifiquement jusqu’aux Stanley-Falls, les Belges