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Par l’espace, au hasard de la cime et du gouffre,
Mon cœur vers toi s’est élancé
Comme la flamme court sur la trace du soufre,
Et, si loin que tu sois, quand tu pleures il souffre,
A ta fortune fiancé.

Car sa chaîne est rivée à ton infime essence :
Les innombrables élémens
Dont ta bouche est pétrie ont depuis ta naissance,
Par une mutuelle et secrète puissance,
Ceux de mes lèvres pour amans.

Comme l’abeille aux fleurs emprunte leur arôme,
Et, charmeuse exquise à son tour,
Change en durable miel la sève qui l’embaume,
De mon sang épuisé survivra chaque atome
Tout imprégné de mon amour ;

La forme en vain retourne au néant qui l’appelle.
La matière et l’âme ont pour loi
De fournir à l’amour une proie éternelle :
Oui, sous les vents, la pluie et les sourds coups de pelle,
Ma cendre frémira pour toi !


AH ! LE COURS DE MES ANS…


Ah ! le cours de mes ans ne peut que faire envie :
Je ne maudirai pas le jour où je suis né.
Si Dieu m’a fait souffrir, il m’a beaucoup donné,
Je ne me plaindrai pas d’avoir connu la vie.

De la félicité que j’avais poursuivie
Le trop vaste horizon s’est aujourd’hui borné,
J’attends, calme et rêveur, ce qui m’est destiné ;
Qu’importe l’avenir ? mon âme est assouvie.

L’arbre de ma jeunesse était ambitieux,
Fou d’espoir et de sève, hélas ! et les orages,
Secouant sa verdure, en ont semé les cieux…