Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âme bien trempée. Lorsqu’en avril 1814, le Comte d’Artois rentrera en France, il pourra suspendre au mur de son cabinet des Tuileries l’épée de Catherine II : elle était restée neuve, joli bibelot de panoplie.

Le paladin quitta Pétersbourg le 26 avril 1793, probablement fort exalté. En lui remettant le glaive vengeur, l’Impératrice lui avait dit : « Je ne vous la donnerais pas si je notais persuadée que vous périrez plutôt que de différer de vous en servir. » La frégate russe le déposa, le 16 mai 1793, à Hull en Yorkshire. Il chargea le duc d’Harcourt de négocier avec le Cabinet de Saint-James en son nom. Le ministre Grenville se montra contrarié. Non seulement il ne voulait envoyer aucun soldat en Vendée, mais la présence du prince à Londres était impossible. Celui-ci avait de Coblentz contracté des dettes à Londres : deux millions ; les créanciers le saisiraient. C’était, pour le prince, tomber de haut : il volait au carnage, à la victoire, au trône et on lui opposait de misérables créanciers. Il se rembarqua, rejoignit Provence à Ham fort décontenancé.

Louis XVIII, lui, méditait ; il allait être Roi : comment penser que le petit Louis XVII échapperait ? Roi, il serait monarque absolu : écrasement des Jacobins, écrasement aussi des modérés plus dangereux, plus haïssables : Lafayette sera toujours plus odieux à l’émigration que Robespierre. Louis XVIII n’en est pas encore à parler de charte, — octroyée ou non. Le rétablissement de l’ancien régime avec quelques réformes, voilà ce qu’offre le « Roy » à ses « sujets révoltés » pour les apaiser, — et le tout accompagné de grandes menaces de représailles et de vengeances-Ferrand demandait que 44 000 exécutions, « une par municipalité, » signalassent la rentrée des autorités légitimes ; le comte d’Oultremont voulait « qu’on pendît tout ce qui restait de l’Assemblée Constituante. » Sans partager toutes les passions de ces Marat de droite, le « Régent » les laissait s’exprimer en toute liberté. Il lui faudra dix ans de réflexions pour constater que, suivant le proverbe qu’il citera un jour à son frère d’Artois, « on ne prend pas les mouches avec du vinaigre. »

En novembre 1793, il avait quitté la triste « Trappe » de Ham et gagné Vérone où la République de Venise lui offrait un asile. Il se faisait l’illusion, — peut-être, — qu’il s’acheminait ainsi