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(bien que cela pût présenter encore certaines difficultés) de dire à notre peuple : « Halte-là ! cela ne nous regarde pas, c’est une affaire intérieure allemande dans laquelle il serait déraisonnable de s’immiscer ! » Dans le premier cas, il serait absolument impossible d’éviter un conflit, tandis que si on laisse arriver les choses à leur maturité naturelle, si l’on ne précipite rien, si l’on n’emploie aucune violence, les chances d’une entente pacifique sont grandes. Que chacun de son côté y mette du sien afin de conserver l’entente entre nos deux nations. » Ainsi parla mon interlocuteur, à l’opinion duquel son intelligence plus nette des affaires allemandes donne une portée toute particulière, sans compter que la situation qu’il occupe personnellement le met en état de faire prévaloir ses idées[1]. »

La différence entre mes vues et celles de Daru était ainsi suffisamment indiquée : il considérait l’Unité, par la fusion du Nord et du Sud, de quelque manière qu’elle se produisît, fût-ce par la volonté des populations, comme une perturbation d’équilibre menaçante pour notre sécurité, que nous avions le droit d’empêcher. Au contraire, je n’étais opposé qu’à l’Unité opérée violemment, et je ne croyais pas mon pays en droit d’interdire à un peuple voisin de s’arranger librement comme il lui conviendrait. C’était le rappel de la politique des nationalités, que je considérais comme le seul moyen de prévenir un conflit terrible, sans cela inévitable. Quel malheur pour la civilisation que mes conseils n’aient point été entendus ! Un diplomate attaché aux vieilleries diplomatiques contre lesquelles je m’insurgeais, Rothan[2], l’a loyalement reconnu depuis : « Le seul plan vrai était celui que M. Émile Ollivier préconisait dans ses discours au Corps législatif lorsqu’il siégeait dans les rangs de l’opposition. S’il avait pu faire prévaloir ses idées arrivé au pouvoir, il est probable que les événemens eussent pris un cours moins calamiteux[3]. Pour faire triompher la paix, il aurait fallu dire à l’Allemagne qu’on la laissait maîtresse de ses destinées. C’était l’unique moyen de la désarmer, de déjouer les calculs du ministre prussien, de le rejeter dans ses embarras intérieurs et de le mettre aux prises avec le particularisme et le libéralisme germaniques. Mais affirmer la paix et faire défense à la Prusse de

  1. Gazette de Cologne, 13 mars 1870.
  2. Italie, p. 48.
  3. Ibid.