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là, et s’ils enfonçaient les Bleus avec le secours des émigrés débarqués, le prince, la victoire remportée, débarquerait à son tour.

Il ne débarqua pas. Les insurgés accourus étaient déçus par l’absence du frère du Roi. Seul il eût pu, d’autre part, établir quelque concorde entre les émigrés et les « Chouans » qui ne se purent sentir, ceux-ci hirsutes, brutaux, indisciplinés, ceux-là légers, dédaigneux et pleins de prétentions. Tous furent écrasés. Ils s’étaient d’ailleurs tous battus avec bravoure, ces émigrés trahis par la fortune, et moururent héroïquement.

C’était une cruelle épreuve pour l’optimisme des princes : il n’en fut pourtant pas déconcerté. On pleura officiellement les victimes : le Comte d’Artois déclara qu’il les vengerait. On s’impatientait. « Nos paysans, écrivait Châtillon, bercés depuis longtemps de l’espoir de voir un de leurs princes à leur tête, commencent à perdre courage. » Le prince fit un grand effort : il s’installa dans l’île d’Yeu, d’où il pouvait apercevoir la côte toute proche. Charette affirmait qu’il pouvait facilement débarquer ; quelques-uns de ses gens de fait purent prendre pied. Puis lui-même s’embarqua, — mais pour Londres. C’était un écroulement : Frotté courut après lui en Angleterre. Nous avons parlé de cette scène et de sa déshonorante conclusion. L’Ouest allait se soumettre. Le Comte d’Artois fut admirable de désinvolture : « Ainsi va le monde, écrivait-il philosophiquement. Il y a quelques mois, nous pensions que toutes les espérances étaient à l’Ouest de la France. Aujourd’hui, c’est la partie du Midi et de l’Est qui présente les chances les plus favorables. » C’était une pirouette d’une jolie désinvolture.

De ce coup, le prestige du prince ne se releva plus. Sept ans, il avait paru, plus que son aîné, le Bourbon appelé à jouer les Henri IV. La « lâcheté » du prince faisait tomber les illusions, — cruellement. Louis XVIII, que n’avait pas toujours séduit le rôle qu’on lui laissait, allait prendre désormais la tête du parti. Ses idées semblaient d’ailleurs se modifier légèrement depuis quelques mois. Puisque Artois n’avait pas gagné sa bataille d’Ivry, il restait d’Henri IV un dernier souvenir qui se pouvait évoquer. Si Paris avait paru valoir une messe au Béarnais huguenot, la France ne valait-elle pas une Constitution ? On écrivait de France que la Convention se séparait au milieu d’une