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d’abord et qui ensuite donne à penser, l’adresse à manier le paradoxe qui inquiète, irrite, passionne la discussion. Gebhart excellait à conter. Il possédait un ample répertoire d’anecdotes, sachant d’abord toutes celles qui ont eu pour théâtre la Cour de Rome, depuis qu’il y a des papes et des cardinaux. Les anecdotes, c’était le butin qu’il allait récoltant sans cesse. Il en avait de toutes marques, d’anciennes et de nouvelles, certaines tirées des vieux livres qu’on ne lit guère, d’autres attrapées au hasard des conversations ou cueillies au long des chemins de la vie. Il les débitait avec complaisance, non sans quelque souci de mise en scène. Il les distillait avec un contentement visible d’être écouté. Ces anecdotes n’étaient pas toujours édifiantes ; il arrivait qu’elles fissent dresser les cheveux sur des têtes pas trop difficiles à ébouriffer ; le conteur savourait alors à petits coups ce délice de scandaliser son prochain. C’était chez lui le côté de pince-sans-rire, la part d’ironie à la Mérimée. Trop souvent l’ironie dénote l’indigence de la pensée et la sécheresse du cœur. Avec Gebhart, on s’apercevait très vite que l’entretien était nourri de connaissances, riche d’idées, de souvenirs, d’impressions, d’émotions ; mais il avait horreur de l’excès, du chimérique et du faux, comme il méprisait le charlatanisme et le cabotinage. La raillerie chez lui était au service de la droiture d’esprit et de l’honnêteté. Au premier aspect, vous le croyiez tout à fait dénué du sens du respect, — et il est vrai qu’il respectait assez peu les mérites d’opinion et les grandeurs de chair ; — puis, vous vous aperceviez que ce sceptique croyait à un tas de choses : sous l’ironiste vous découvriez le brave homme. Il était bien impossible de ne [pas se prendre pour lui d’affection. Aucun de ceux qui, ces derniers temps, ont parlé de lui, n’a pu évoquer son souvenir sans y trouver mêlée de l’émotion. A l’Académie française, où il était presque un nouveau venu, il s’était fait tout de suite aimer : la dernière fois qu’il y parut, portant sur son visage ces signes auxquels on ne se trompe pas, tous les cœurs étaient serrés.

Cette robustesse de bon sens, cette notion juste des réalités, cette ironie malicieuse, Gebhart les devait peut-être pour une bonne part à ses origines lorraines. Il faut les rappeler, car il ne les oublia jamais, et je ne sais personne qui ait tenu davantage à sa patrie locale. Si les nécessités de sa carrière et les obligations professionnelles l’avaient fait surtout habitant de notre ville, son cœur était resté là-bas. Il était parmi nous un Nancéen de Paris. Chaque année, à chaque période de l’année où son travail le laissait libre, on pouvait se rendre au premier train qui partait, pour Nancy : on était sûr de voir arriver, la valise à