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grands travailleurs ; mais on ne l’y prenait pas en défaut. Toutefois, et obligé qu’il était d’imposer à son imagination et à sa fantaisie cette contrainte nécessaire, il devait souhaiter de pouvoir quelque jour les en affranchir. L’occasion vint le solliciter. On lui demanda d’écrire un roman historique. Ce fut ce récit fameux dont nous eûmes ici la primeur : Autour d’une tiare. Quelle intensité dans l’évocation du milieu historique ! Grégoire VII enlevé de Saint-Jean-de-Latran, la nuit de Noël, à l’autel même, emprisonné dans le château de Cencius, repris par le peuple de Rome et ramené en triomphe ; l’empereur germanique s’humiliant à Canossa, tête nue et pieds nus dans la neige ; le pape découvrant des hauteurs du château Saint-Ange les progrès de l’incendie allumé dans Rome par Robert Guiscard, autant de visions qu’on n’oublie plus. Ce qui est encore de premier ordre, c’est l’adresse avec laquelle l’auteur a su mêler la fiction à la réalité. Il nous conte dans ses premières pages que, se promenant à Rome, le long des vieux murs, il aperçut un écusson pontifical en marbre blanc, qui se détachait sur le fond rougeâtre des briques : la tiare surmontant les deux clefs entre-croisées. « Or, des abeilles y édifiaient un rayon de miel ; elles volaient tout autour de la coiffure sacrée avec un bourdonnement très doux. La rencontre était singulière, mais je fus tout à fait charmé par le caprice des naïves travailleuses, lorsque, m’étant approché du rempart, je reconnus sur l’écusson le bœuf des Borgia… Du miel dans cette tiare terrible, c’était une fantaisie historique d’un symbolisme bien touchant. » C’est assez bien le symbole de la fantaisie historique chez notre auteur. Le jeu l’avait amusé, il y revint. De là les contes réunis sous le titre Au son des cloches ; quelques-uns : « la Dernière nuit de Judas, » « Noël Franciscaine, » « le Diacre de Nicée, » sont comme des vases précieux enfermant une subtile essence. Il s’en faut d’ailleurs que Gebhart ait réuni en volumes tous ses articles, chroniques, récits ou morceaux de circonstance. On l’y reconnaissait à une verve toujours jaillissante. Ce sont les arabesques qui courent gaiement en marge de l’œuvre de l’historien.

Aux derniers temps de sa vie, on constatait chez lui un phénomène qui n’est point rare, mais qui est toujours intéressant : ses admirations de jeunesse lui revenaient à l’esprit plus vives, et ses convictions de toujours se faisaient plus ardentes. Naguère il avait pris comme sujet de thèse latine pour le doctorat : les voyages d’Ulysse. Et voici que, dans le livre d’une si fine ironie : D’Ulysse à Panurge, il se refaisait le panégyriste de l’ingénieux héros, à un âge où, comme lui, il avait vu beaucoup de villes et connu les mœurs de