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servante et reçu d’elle la confidence du meurtre. Meurtrier, ce père qu’elle a tant aimé, et meurtrier de la plus vertueuse des femmes ! Comment veut-on qu’elle supporte maintenant la vue de ce père aux mains tachées de sang, et de quel sang ! Ici l’intervention du jeune Mugnier, l’amoureux, provoque chez Sergeac une nouvelle explosion de colère et qui s’explique aussi peu que les autres. Il ne fait rien que d’honorable et de délicat, ce jeune homme, en protestant que, sans se révolter contre son père, il n’accepte pourtant pas la rupture et qu’il se considère comme lié à Simone. Et pourtant Sergeac le traite comme le dernier des misérables. Heureusement, et par un brusque sursaut d’humeur, il se décide à parler. Il prend pour juge le jeune Mugnier ; il expose ses griefs de mari trompé et qui a puni. Comment conclure ? Dans une première version, la jeune fille s’éloignait de son père, irréconciliable. Dans la version définitive, elle écoute les conseils de son grand-père maternel, qui, lui, a pardonné. Le dénouement était « à volonté, » le caractère de Simone ne nous étant pas connu.

On s’est plaint que M. Brieux n’ait pas analysé avec quelque soin cette âme de jeune fille. Mais notez qu’il ne nous a pas fait mieux connaître les autres personnages. Nous voyons bien que Sergeac est un homme violent ; il est violent et dangereux ; c’est tout ce que nous en savons. On s’est aussi bien demandé ce que prouve une telle pièce. Elle ne prouve rien. Mais ce genre de drame n’a pas pour objet de prouver, non plus que d’analyser. Il ne tend qu’à un effet immédiat, qui est de nous secouer d’importance. On ne saurait nier que M. Brieux n’y ait réussi. Souhaitons donc qu’il ait, une fois pour toutes, exorcisé ce démon de la conférence qui avait gâté ses dernières œuvres, et qu’il trouve désormais un moyen terme entre la manière dissertante de jadis et le système de Simone, qui est celui du drame à coups de poing.

M. Grand a été très dramatique dans le rôle de Sergeac : aucun rôle ne lui avait encore valu un succès aussi mérité. Mlle Piérat est une Simone très gracieuse et parfois touchante.


R. D.