Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/517

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une paix désarmée eût signifié que nous n’avions ni canons, ni fusils, ni plans de mobilisation, ni magasins, ni réserves prêtes à partir, ni armées instruites, et que nos régimens ne pourraient point passer rapidement de leur incomplet de paix à leur effectif de guerre. Il avait précisément dit le contraire (nous venons de l’entendre) en louant le maréchal Niel « d’avoir, par ses armemens, replacé la France dans l’état où elle doit être pour être respectée » et de nous avoir rendus « imposans. » Il a encore moins dit, comme il l’a encore prétendu depuis, « que nous étions condamnés à la défaite, que toute guerre serait désastreuse. » Il avait dit précisément le contraire en répétant à plusieurs reprises : « Vous êtes forts, restez forts. » S’il en eût été autrement, aurait-il recommandé à notre confiance ce ministre de la Guerre qui, devant lui, se déclarait prêt à pourvoir à toutes les éventualités, et qui « le rassurait parce qu’il savait compter ? » Nous croyons servir la mémoire de Thiers en débarrassant son beau discours patriotique des altérations par lesquelles il l’a défiguré plus tard.

Je donnai à Thiers toutes les assurances pacifiques qu’il désirait : « A aucune époque le maintien de la paix en Europe ne nous a paru plus assuré. De quelque côté que se portent nos regards, nous ne voyons aucune question irritante engagée. »


XI

Un événement important, qui ne causa pas une sensation immédiate, apporta une chance nouvelle dans le jeu de Bismarck. Ce fut la mort de Clarendon (27 juin). Bismarck le considérait comme son ennemi le plus redoutable. Clarendon aurait-il eu la force de résister aux deux volontés réunies de Gladstone et de la Reine, on en peut douter. Du moins, son successeur Granville (4 juillet) ne le tenterait même pas. Granville n’avait pas des sentimens pacifiques moins vifs que ceux de Clarendon, qu’on appelait le commis voyageur de la paix ; il était aussi aimable et aussi généralement aimé, mais il savait moins bien manier les hommes, les attirer, les convaincre ; il n’avait pas le même esprit d’initiative, ni la même consistance, et il se laissait facilement entraîner d’un parti à l’autre ; il connaissait moins l’Europe et n’y jouissait pas de la même autorité ; on le disait paresseux, beaucoup plus qu’il ne l’était. Une surdité prononcée le gênait