Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La région paraît pauvre. Les hommes ayant émigré pour la plupart vers des pays d’industrie, ce sont les femmes qui cassent les cailloux du chemin, sous la surveillance d’un cantonnier... Puis, à mesure que nous descendons, la vie a l’air de renaître, les vergers, les jardins deviennent plus fréquens. Nous traversons un grand village encore endormi, à cette heure de la sieste, — et, brusquement, la route fait un coude, en longeant un ravin dangereux, une côte rapide dévale sous de hautes tranchées : le Taygète, énorme et bleuâtre, vient de surgir, avec ses pics espacés, qui flottent dans un brouillard très fin !...

Bientôt, la vallée de l’Eurotas se découvre, l’immense plaine laconienne, toute luxuriante de verdure, à l’atmosphère humide et lourde, où se cachent des marécages et des rigoles de rizières. Au bord de la route, s’échelonnent des moulins et des guinguettes qui annoncent la proximité d’une ville. La côte s’abaisse de plus en plus... Nous voici dans la plaine. Un pont suspendu enjambe l’Eurotas, le fleuve héroïque et légendaire. Quoi qu’en ait dit la malignité, il a toutes les apparences d’une fort belle rivière. Seulement, son cours, appauvri en cette saison, se divise en deux ou trois bras, qui se rétrécissent sur un lit de galets. Çà et là, le long des berges, de maigres lauriers-roses, des prés de luzerne aux fleurs violettes foisonnantes, et, — disséminés dans des arrière-plans rocailleux, — de petits oliviers qui semblent des arbres exotiques au milieu de cette fertilité toute septentrionale...

Il est cinq heures, l’air fraîchit un peu. Les promeneurs se hasardent à sortir, — des commerçans de Sparte, des fonctionnaires de la monarchie ! A voir ces bonnes gens pacifiques, errant, l’ombrelle sous le bras, par les sentiers des prés, ou assis sur les talus de la rivière, on perd insensiblement la notion des milieux. Si étrange que cela me paraisse aujourd’hui, je retrouvai là, dans cette campagne de Sparte, dans cette tranquillité provinciale, l’impression d’apaisement et de bourgeoise félicité que j’avais éprouvée tout enfant, lorsque j’arrivai pour la première fois à Niederbronn, — petite ville thermale de notre Lorraine, blottie dans les brumes et les bruyères des Vosges.

Mais non ! L’Orient est tout proche !... Il suffit de se retourner pour apercevoir les flancs rougeâtres des monts Ménélaion, dont la chaîne aplatie rappelle les ondulations sablonneuses des déserts africains. Un feu de berger brûle, dans le