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génération n’ait eu le temps d’atteindre le niveau de développement intellectuel correspondant. Jusqu’à présent, le progrès rapide du Japon s’est borné à des efforts matériels. On n’a pas eu le temps de songer suffisamment aux nécessités morales et spirituelles du peuple : le but principal des jeunes Japonais est de devenir riches et forts. Ils suivent strictement l’exemple des puissances commerciale de l’Ouest. Ils se sont assimilé avec une rapidité merveilleuse tout ce qui était de provenance extérieure, tout ce qui était pratique. La flotte japonaise dans la baie de Nagasaki et les autres ports est remarquablement bien équipée ; tandis que Kobé et Yokohama, comme villes industrielles, peuvent soutenir avec avantage la comparaison avec quelques-uns des grands centres de commerce des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Osaka et Tôkyô, en encourageant les usines de toutes sortes, ont fait du Japon le grand marché de l’Orient, et la vie des principales villes est devenue, presque sous tous les rapports, une copie fidèle des institutions européennes. Mais quant à savoir si ce progrès extérieur obtenu au prix de constans efforts et d’une infatigable persévérance, est un bien pour le peuple, c’est une autre question, et une question de la plus haute importance, pour tous ceux qui ont sérieusement à cœur le bonheur du pays. Une transformation trop rapide des conditions existantes pourrait très facilement amener une crise économique dont on voit déjà se manifester quelques symptômes. Le danger d’une crise morale serait plus grand encore et tout aussi inévitable, tant que le peuple ne se conformera qu’aux exigences extérieures de la nouvelle civilisation, ne comprendra pas sa valeur éthique, et demeurera en dehors de ses aspirations spirituelles.


En vérité, quelque impression que j’aie ressentie des nombreux signes d’inquiétude et de mécontentement, j’ai été encore plus surpris de constater qu’on ne faisait presque rien pour remédier au mal. La difficulté de transformer le pays en un État moderne, le travail pour créer tant d’institutions nouvelles ont été sans doute gigantesques, mais cela a été une œuvre presque exclusivement matérielle. On a bâti des casernes, des arsenaux, on a installé des usines, créé des villes, des centres d’industrie et de commerce, mais on n’a pas eu le temps de songer au côté moral du problème social. On a pensé seulement aux profits sans se préoccuper des dangers que toutes ces innovations devaient nécessairement amener avec elles. Ils ont élevé leur tour sans calculer tous les frais. Non seulement le peuple a accepté trop facilement tout ce qui venait de l’étranger, mais on a rejeté avec trop de hâte ce qu’il possédait. Combien de coutumes utiles ont été ainsi sacrifiées, combien d’excellens principes moraux perdus pour jamais !

La réforme sans doute s’imposait comme une nécessité, un