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de la situation, tels étaient les points saillans qui me frappaient. Même si ces troubles n’étaient que des faits isolés et facilement réprimés par l’autorité militaire, il n’en était pas moins vrai que ce mouvement avait été organisé et provoqué après délibération, et qu’il y avait un fort courant pour le propager. Il est difficile de savoir si cette influence occulte était d’origine étrangère, jusqu’à quel point les socialistes d’outre-mer étaient responsables, et jusqu’à quel point la fermentation était aggravée par la presse étrangère ; mais il est clair que le mouvement a suivi la même direction que dans les autres pays, et que bientôt les eaux devaient déborder les rives. Il est évident que les mêmes conditions doivent engendrer les mêmes dangers, et que le problème le plus grave pour l’avenir de ce pays sera, ainsi que dans les autres, la question ouvrière. En présence de ces faits, il me semblait incompréhensible que, pour la grande majorité du public, le danger parût éloigné, et qu’on ne fit presque rien pour le prévenir. S’il était impossible de l’empêcher, on aurait pu au moins prendre des mesures pour en limiter l’étendue. L’ancien ordre des choses était bouleversé, ses fondations s’effondraient et on négligeait toute précaution pour établir un ordre nouveau et pour assurer la paix intérieure. Les qualités morales et la force de caractère, développées à un degré si élevé chez les anciens, ne pouvaient plus stimuler leurs descendans d’aujourd’hui. Le Bushido, ce puissant facteur de la vie privée et publique sombrait rapidement avant que les idées et les croyances nouvelles fussent assez mûres pour prendre sa place. Le grand avantage et la force du Bushido consistaient, non seulement dans la satisfaction qu’il apportait à chacun, mais dans la garantie qu’il présentait pour le bien public. Les gens du peuple étaient contens de leur sort ou du moins s’y résignaient, quelque humble qu’il fût, tant que leur fardeau était allégé par la conviction honnête que tout était ordonné par le Mikado pour le bien de tous, et tant que leur loyauté était considérée comme un devoir religieux.

Si le pays n’était pas riche, du moins le nécessaire ne manquait à personne. Sous le vieux régime patriarcal, le peuple avait peu de besoins, mais qui pourra jamais distinguer le nécessaire du superflu ? Un des plus grands maux de notre siècle de commerce est cette création incessante de besoins nouveaux, et aussi cette habitude de faire de la production et de la consommation,