Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on en juge par le nombre des articles du projet de loi, elle n’en est guère encore qu’au quart de sa carrière. C’est comme un char qui s’avance lentement et toujours en s’alourdissant. Qui sait s’il ne finira pas par verser ? Mais le début est malheureux, et Pangloss lui-même y perdrait de son optimisme.


Le Pape vient de faire connaître sa volonté au sujet des mutualités ecclésiastiques : sans les condamner en elles-mêmes, il leur refuse l’autorisation d’accepter des mains de l’État l’argent des Caisses et des fondations ecclésiastiques. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons répété déjà bien des fois au sujet de l’attitude prise par le Saint-Siège dans toutes les questions qui dérivent de la loi de séparation. Nous aurions préféré qu’elle fût différente, et nous avons dit pourquoi. Si la générosité des fidèles supplée, non seulement aujourd’hui, mais demain, mais toujours, aux renonciations que le Saint-Père ordonne et auxquelles il faut bien que les catholiques se résignent, tout sera pour le mieux ; mais il est difficile de ne pas avoir quelques doutes à ce sujet. Quoi qu’il en soit, n’ayant rien pu et ne pouvant rien empêcher, nous nous bornerons à expliquer.

On sait que les biens ecclésiastiques devaient, de par la loi de séparation, être remis aux associations cultuelles et, à leur défaut, faire retour aux communes pour être affectées par elles à des œuvres de bienfaisance. Le gouvernement n’avait pas douté, à l’origine, que des associations cultuelles se formeraient ; il était fort éloigné de toute pensée de spoliation et, satisfait d’avoir supprimé le budget des Cultes, il lui répugnait de déshonorer la loi de séparation en confisquant des biens qui, s’ils n’appartenaient pas juridiquement à l’Église de France, lui appartenaient moralement et étaient grevés, par leur origine même, d’une affectation religieuse. Mais le Pape a interdit les associations cultuelles, et l’État, qu’on nous passe le mot, s’est trouvé assez embarrassé. Le Pape lui avait dit avec un héroïque dédain : Pecunia tua tecum sit, garde l’argent, et laisse-moi ma liberté. L’État aurait préféré trouver un moyen indirect de restituer l’argent à l’Église, en totalité ou en partie, et il a imaginé pour cela toutes sortes de combinaisons dont aucune n’a abouti, parce qu’elles sont toutes venues se briser contre l’opposition pontificale. La situation, cependant, devenait de plus en plus critique. L’Église de France se trouvait avoir perdu des sommes dont le total exact n’a jamais été bien connu, mais il s’élevait certainement à plusieurs centaines de millions. Le Pape avait ordonné qu’on les abandonnât, soit : tout le monde