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auraient eu une valeur décuple, les décisions n’auraient pas changé. A la hauteur théologique où se place le Saint-Père, les biens de la terre n’existent plus. Il se regarde comme Jésus sur la montagne en butte aux tentations du malin esprit qui lui offre honneurs, pouvoirs, richesses, tentations que Jésus repousse parce que son royaume n’est pas de ce monde et que ses ambitions sont d’un autre ordre. Le Pape annonce qu’il constitue une rente de quatre mille francs qui serviront à dire des messes pour les morts, et qu’il en dira une lui-même tous les mois. Les morts, sans doute, y trouveront leur compte : mais les ivans ?

Les ordres de Rome seront obéis à la lettre ; il ne saurait y avoir à cet égard aucun doute ; mais n’en restera-t-il pas dans les cœurs quelques regrets ? Les catholiques français dans les deux Chambres avaient évidemment cru que les amendemens de MM. Lemire et Berger étaient acceptables puisqu’ils les avaient acceptés, et il est permis de voir dans leurs votes, qui ont été unanimes, une prière discrète adressée au Saint-Siège, prière qui a peut-être été entendue, mais qui n’a pas été exaucée. Quant au gouvernement, il est plus difficile de savoir sa pensée véritable. Nous avons dit déjà qu’une transformation s’était opérée dans celle de M. Briand. M. Briand, après avoir poussé très loin l’esprit de transaction, voyant toutes ses tentatives repoussées avec perte et sa bonne volonté méconnue, a tout d’un coup changé de manière ; il a semblé dire que, puisqu’on ne voulait rien de lui, il allait tout reprendre et il a présenté une véritable loi de confiscation. Néanmoins, peu à peu, il a cédé de nouveau devant les suggestions concluantes de M. l’abbé Lemire à la Chambre et de M. Philippe Berger au Sénat.

L’a-t-il fait, cette fois, de bon cœur ? Nous ignorons ses sentimens secrets ; mais il y a sans nul doute, dans la majorité qui a voté avec lui et parmi ses collègues du ministère eux-mêmes, des hommes qui sont d’autant plus satisfaits d’avoir fait un geste généreux qu’il ne leur à, en somme, rien coûté, puisque le Pape a repoussé leurs avances. Ils sont bien aises de pouvoir dire au pays qu’ils ont voulu donner et qu’on n’a pas voulu recevoir, et de rejeter sur ceux qui ne l’ont pas voulu la responsabilité des souffrances dont le clergé sera ultérieurement affligé. Ces messes dont on les accusait de priver les morts, ils diront qu’ils avaient trouvé un moyen de les en faire bénéficier, et que ce n’est pas leur faute si une volonté supérieure a opposé son veto. Qu’il y ait de leur part, en tout cela, un peu d’hypocrisie, nous l’accordons. S’ils voulaient vraiment donner, ils