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l’attaquera au premier jour ; mais il n’aura probablement pas besoin d’en venir là pour qu’elle se débande, ce qui est l’évolution la plus naturelle à toutes les mehallas marocaines, à moins cependant qu’elles n’aient affaire à nous. C’est un phénomène remarquable, en effet, que le courage indomptable que les Marocains déploient contre l’infidèle et l’étranger, et la prodigieuse mollesse qu’ils mettent à s’attaquer entre eux : dans les deux cas, ce ne sont pas les mêmes hommes. La facilité avec laquelle les tribus passent d’un compétiteur à un autre, montre l’indifférence dont elles sont animées à leur égard : il leur importe assez peu d’avoir un maître ou un autre, — il l’est d’ailleurs si faiblement ! — pourvu que ce maître soit de leur race et de leur religion. Le succès prononce et on suit. Or le succès, depuis quelques jours, est incontestablement pour Moulai-Hafid.

Quelque modifiée que soit la situation, elle ne l’est pas encore assez pour qu’il y ait lieu de conseiller une autre attitude que celle que nous avons toujours recommandée : nous n’avons pas à nous prononcer encore entre Moulaï-Hafid et son frère et, quand le moment en sera venu, nous ne serons pas seuls à devoir le faire. Les autres puissances qui étaient représentées comme nous à Algésiras et qui, à cette époque, ont traité avec Abd-el-Aziz, pourront être amenées à reconnaître un autre sultan ; mais elles ne le feront pas sans conditions, et la première sera sans nul doute que le sultan, quel qu’il soit, accepte l’Acte de la Conférence. Cet Acte est pour le moment notre loi à tous. Les compétitions intérieures du Maroc, les troubles qui s’ensuivent, les substitutions de personnes qui s’y produisent, ne doivent avoir aucune influence sur la situation internationale du pays ; non pas que celle-ci ne puisse pas changer, mais elle ne peut le faire que par des causes plus décisives et en vertu d’autres procédés. Au reste, Moulaï-Hafid le sait bien, et il est le premier à l’admettre, puisque ses envoyés à Berlin ont pris soin d’assurer que leur maître respecterait l’Acte d’Algésiras. Nous avons aussi des envoyés de lui-à Paris, et nous n’avons pas à les recevoir aujourd’hui plus qu’hier ; mais il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’ils y prolongent leur séjour. M. Pichon, dans un des discours qu’il a prononcés devant la Chambre, a réservé prudemment entre les deux sultans la question d’avenir. Nous aurions aimé à ce qu’il eût toujours la même prudence dans sa conduite que dans ses paroles ; mais enfin, notre liberté reste entière, nous ne l’avons jamais aliénée.


M. le Président de la République est en ce moment en Angleterre,