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Belges, elle maintient en fonctions les ministres du feu roi, les représentans du parti whig auquel elle est attachée par ses traditions de famille. Ce qui la touche plus que tout le reste, c’est que leur chef, lord Melbourne, est un parfait honnête homme, d’une droiture et d’une loyauté à toute épreuve. Les réflexions qu’elle fait à ce sujet révèlent la prise qu’ont eue et que conservent sur elle les principes religieux de son éducation. Le talent sans le caractère l’inquiète comme une menace. Toute sa vie, dans ses relations, elle attachera plus d’importance aux qualités morales qu’à la valeur de l’intelligence.

L’oncle rend encore à la nièce un autre service, le plus grand qu’il pût lui rendre. Il découvre pour elle le mari idéal, l’homme vers lequel elle se sentira attirée à première vue par une sympathie instinctive, auquel elle s’attachera ensuite de toutes les forces d’un cœur aimant. Cette union qui doit faire deux heureux est préparée avec une sollicitude touchante. Le roi des Belges, qui a du goût pour le prince Albert, mais qui ne le connaît pas très bien, tient à s’assurer qu’il mérite la main de la reine d’Angleterre, et attache à sa personne pendant quelques mois le fidèle Stockmar. Dans l’intimité de la vie commune, celui-ci étudiera de près le caractère du prince et fera son rapport. Ce rapport est si concluant, si décisif, que toute hésitation disparaît. Il ne reste plus maintenant qu’à mettre en présence les deux jeunes gens qui se sont déjà rencontrés, mais sommairement. Une visite du prince et de son frère à Windsor sera pour eux l’occasion la plus naturelle d’un rapprochement. Il faut signaler ici, comme un trait de caractère, la spontanéité, la vivacité des impressions de la Reine. Au mois de juillet 1839, elle se demande encore ce qu’elle fera : elle ne sait pas bien si elle aime son cousin. En tout cas, elle ne veut faire cette année aucune promesse définitive, elle éprouve de la répugnance à changer d’état ; si elle s’engageait, elle ne voudrait pas que ce fût avant deux ou trois ans. Mais elle a compté sans l’attrait qui attire la jeunesse vers la jeunesse, sans la séduction que peut exercer sur les esprits les plus réfléchis la présence d’un être charmant et bon. Trois mois après, le prince Albert n’a encore passé que deux jours à Windsor, et déjà le cœur de la jeune fille est pris. En juillet, elle parlait de lui comme d’un cousin, comme d’un ami ; en octobre, elle éprouve pour lui le sentiment le plus vif et le plus fort. C’est le coup de foudre. « Il me