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affectueuse hospitalité. Elle aimera à les revoir dans ce délicieux Claremont qui lui rappelle tant de chers souvenirs, où elle a passé les meilleures années de sa jeunesse.

Qu’allait maintenant devenir la France ? La Reine se rendait bien compte que la chute de Louis-Philippe était due en partie à l’obstination avec laquelle il avait maintenu au pouvoir un ministère impopulaire. Elle avait encore sur le cœur les mariages espagnols. Elle n’en regrettait pas moins les seize années de tranquillité que l’Angleterre et le Continent devaient à l’entente cordiale. Les passions révolutionnaires déchaînées à Paris gagnaient déjà l’Allemagne et l’Italie. Qui les arrêterait désormais ? Il fallait que l’avenir fût bien sombre pour que l’empereur de Russie, dont les intérêts étaient si différens de ceux de l’Angleterre, adressât un appel pressant à la Reine en lui demandant de s’unir à lui contre les forces croissantes de la Révolution. Il convient de se reporter à cette date et d’entrer dans la pensée des gouvernemens conservateurs d’alors, pour comprendre la faveur avec laquelle fut accueillie l’élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République. Il représentait un principe de résistance, un arrêt de l’esprit révolutionnaire. En Angleterre particulièrement où il avait vécu, on espérait qu’il se souviendrait de l’hospitalité reçue et qu’il serait facile d’entretenir avec lui des rapports cordiaux. Il sentait si bien lui-même les avantages de cette situation qu’un de ses premiers soins fut d’écrire à la Reine une lettre où il rappelait avec autant d’habileté que de bonne grâce l’accueil bienveillant que lui avait fait la nation anglaise, pendant les années de son exil. Le nom de Napoléon, le coup d’Etat, la proclamation de l’Empire ne sont pas sans causer de sérieuses appréhensions à la Reine et à son gouvernement. Cependant la confiance dans le caractère et dans la conduite du prince fait peu à peu des progrès. Dès le 4 décembre 1852, la Reine en donne elle-même une preuve significative dans la lettre personnelle qu’elle écrit au nouvel Empereur pour accréditer auprès de lui un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. C’est plus et mieux qu’une lettre simplement officielle. La Reine y parle de « son invariable attachement, de son estime et de sa sincère amitié. »

La glace est désormais rompue. Un courant de très amicales relations va s’établir entre les deux souverains et les deux gouvernemens. La guerre de Crimée en fut la conséquence immédiate.