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ses manières. La dignité, la tenue parfaite de la Cour la frappent également. Quel contraste entre cette correction élégante et le désordre qui régnait aux Tuileries du temps de Louis-Philippe ! Décidément, le vieil ami d’autrefois est tout à fait détrôné par l’ami nouveau. Comme le remarque avec raison M. Jacques Bardoux, si on excepte les lettres consacrées au roi des Belges ou au prince Albert, jamais la Reine n’a exprimé pour un de ses parens ou de ses amis une admiration aussi vive que pour l’empereur Napoléon. Sans qu’il essayât de rien faire pour qu’on s’attachât à lui, sans qu’il eût rien de particulièrement séduisant dans son extérieur, il exerce sur elle, comme sur tous ceux qui l’approchent, une sorte de fascination.

En attendant, la guerre que les alliés s’étaient flattés de terminer si rapidement continue avec toutes ses horreurs. Pendant que nous avons l’air d’assiéger Sébastopol, nous sommes nous-mêmes bloqués sur le plateau de la Chersonèse, sous un climat extrême, dans les conditions les plus déplorables pour la patience et pour la santé de nos soldats. Les Anglais, plus habitués que nous au confort, qui n’ont pas appris à se débrouiller comme nous dans les guerres d’Afrique, souffrent cruellement. Le cœur de la Reine est touché de ces souffrances. Elle voudrait les soulager, offrir à ceux qui rentrent en Angleterre, aux malades et aux blessés, des locaux salubres et gais. Les visites qu’elle multiplie dans les hôpitaux militaires ne la satisfont pas. Les fenêtres sont trop hautes, les chambres trop petites. Il n’y a pas de réfectoire. Les malheureux mangent dans la pièce où ils couchent. On parle de les installer sur des pontons : triste séjour, où ils se trouveraient peut-être bien physiquement, mais qui ne leur offrirait aucun agrément moral. Le seul remède est la construction d’hôpitaux nouveaux pour lesquels le pays ne marchandera pas les sacrifices. Elle visite avec le prince Albert une soixantaine de blessés des Coldstream et des fusiliers écossais. « C’était un spectacle intéressant et touchant : de si beaux hommes, si braves et si patiens, si prêts à repartir et à leur tomber dessus encore ! » Une idée heureuse qui lui appartient en propre et qui indique sa connaissance du cœur humain est la création de la médaille de Crimée avec agrafe. Elle devine que la perspective d’une récompense de ce genre déterminera dans le pays un certain nombre de vocations militaires. Aussi tient-elle à faire elle-même solennellement la remise des premières médailles. C’était