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extérieure et la cause de sa perte, s’agitait déjà devant son esprit. De la question d’Orient il tirait une conclusion assez inattendue pour les chancelleries européennes : la nécessité de donner la parole aux Principautés Danubiennes et de les consulter sur la forme de gouvernement qui leur conviendrait le mieux. C’est sur ce sujet que Thouvenel s’escrimait à Constantinople, sans beaucoup de conviction et sans beaucoup de succès. C’était juste, c’était humain, mais était-ce d’accord avec le principe de l’intégrité de l’Empire ottoman pour lequel on venait de se battre ? L’attitude respective des puissances semblait indiquer le contraire, car, sur ce point spécial, nous trouvions plus d’appui de la part de la Russie que de la part de l’Angleterre et de la Turquie. Les rôles se retournaient cette fois, la Russie ne demandant pas mieux que de favoriser l’autonomie des principautés aux dépens de la suzeraineté du Sultan.

Dans ces chevauchées à travers les principes, l’Angleterre ne comprenait plus et surtout ne suivait plus l’Empereur. Le 20 mai 1857, après une longue conversation avec M. de Persigny, lord Clarendon entretenait le prince Albert des utopies de Napoléon III. Si celui-ci avait été si pressé de conclure la paix, c’est qu’il désirait ménager la Russie et s’entendre ensuite avec elle et l’Angleterre pour remanier la carte de l’Europe. Aux traités de Vienne conclus contre son oncle, et qui consacraient le droit de conquête, il voulait opposer le principe des nationalités et la volonté des peuples. Suivant M. de Persigny, on voyait déjà percer chez lui la haine de l’Autriche, puissance conquérante, et le désir de lui reprendre une partie de ce que lui avaient donné les traités de 1815. L’ancien insurgé des Romagnes, le carbonaro imprégné des idées révolutionnaires reparaissait sous l’Empereur, au grand étonnement de la diplomatie anglaise. Il convenait de ne jamais perdre de vue, de surveiller de près un allié si entreprenant. La Reine craint qu’il n’échappe un beau jour à l’influence anglaise et qu’il n’entre en conflit avec l’Autriche. Elle fait tout ce qu’elle peut pour le retenir ; elle va jusqu’à lui déclarer qu’elle se détacherait entièrement de lui, s’il tentait de déchirer les clauses des traités existans.

Mais, avec la hantise qu’il avait du principe des nationalités, avec l’idée fixe de l’indépendance de l’Italie, qui pourrait le retenir sur la pente fatale ? Même sachant qu’il ne sera pas suivi