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tyranneau qui avait autrefois désolé la Hesse Électorale y devenait presque populaire, et les dames de Cassel lui offraient un trône magnifiquement sculpté. Dans le Hanovre, les cœurs allaient au vieux roi, fugitif, errant, aveugle comme le malheureux Lear. La crainte, toujours tenue présente, d’une incursion française, avait jusque-là étouffé les murmures et assuré l’obéissance. Mais notre avènement changeait ces dispositions. Si on ignorait en Allemagne les sentimens de Daru, on connaissait depuis longtemps les miens, si souvent répétés dans des discours retentissans, et l’on supposait que le nouveau ministre des Affaires étrangères les partageait. La Gazette Provinciale constata que mes idées bien connues étaient un gage de paix. Or, la certitude que les affaires françaises étaient soustraites à un pouvoir personnel sans contrôle ; qu’elles étaient confiées à des ministres responsables dépendant d’un parlement libre, et que ces ministres ne partageaient pas l’hostilité de l’ancienne diplomatie contre l’ordre nouveau en préparation en Allemagne, produisait un double résultat : elle rendait moins accommodant le libéralisme prussien, plus acerbe la plainte des pays conquis.

Cependant Bismarck, au premier moment, ne crut pas à notre solidité et à notre énergie ; il espérait « que nous marcherions par étapes à la Révolution, à la République, ce qui affaiblirait la France à l’intérieur et lui rendrait impossibles les alliances avec les gouvernemens monarchiques au dehors. » Mais l’opinion publique allemande qui n’escomptait pas de cette façon l’avenir, et qui ne considérait que le présent, ressentait sans mélange la satisfaction de notre avènement et, à mesure que la crainte d’une intervention française s’affaiblissait, le désir d’une diminution des charges militaires si lourdes prenait faveur. Aussitôt après les élections prussiennes et fédérales prochaines, le premier acte des nouveaux députés devait être de fixer le contingent annuel, accordé seulement jusqu’au 31 décembre 1871. Dès lors, la question militaire allait dominer toutes les autres. Le parti progressiste demandait que la proportion entre l’effectif de paix et la population fût réduite. Les députés saxons formulaient une résolution radicale, accueillie avec approbation par toute l’Allemagne libérale, « pour qu’on tendît à un désarmement général, qu’on l’exécutât le plus tôt possible, et qu’à cet effet, on invitât la Présidence fédérale à procéder par voie diplomatique. » Bismarck et le Roi ayant déclaré que, pour aucune