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plus ; on s’amusait de voir la vertueuse Madame, la farouche Madame qui chassait ses filles d’honneur pour la moindre coquetterie, tourner à son insu à l’amitié amoureuse. Dans ces conditions, c’est à se demander si la scène d’explications de Fontainebleau avait existé ailleurs que dans son imagination ? Le récit qu’elle en donne est criant d’invraisemblance, à l’examiner de près. Voilà une démarche que son père attendait avec anxiété depuis plusieurs mois. Elle se décide à la tenter, obtient de Louis XIV une promesse qui peut mettre fin aux tribulations du Palatinat, et elle n’en souffle pas mot à Charles-Louis, ni à la duchesse Sophie[1] ; cela est au moins très singulier.

Singulière aussi, à la longue, l’exaltation qui s’était emparée de Madame en recevant la communication brutale du « gros Allemand » de Mme de Sévigné. Autant cette exaltation avait été naturelle sous le choc, autant, les premiers temps passés, on a de peine à se l’expliquer. Il n’était plus question d’accuser Louis XIV d’avoir été le bourreau de Charles-Louis. Sans doute, le Roi lui avait rendu la vie pénible. Les attaques qui emportèrent l’Électeur avaient eu toutefois une autre cause, qui n’avait rien à faire avec la politique, et que Madame a connue ; elle en a parlé plus tard avec son impudeur accoutumée : « (3 avril 1710.) Ce qui a malheureusement abrégé la vie de Sa Grâce monsieur mon père, comme Louise pourra vous le dire[2], c’est que Sa Grâce n’a que trop cherché à chasser la tristesse, et a voulu se réjouir au-delà de ses forces avec une jeune et robuste Suissesse, qui avait été l’une des filles de Madame la Raugrave. » Quand et par qui Madame avait été mise au courant, elle a négligé de le dire ; on sait seulement que les occasions ne lui avaient pas manqué, entre ses nombreux correspondans et le flot des Allemands en voyage qui accouraient la saluer et lui donner les nouvelles du Paradis perdu de sa jeunesse : « J’ai eu hier vingt-neuf princes, comtes ou gentilshommes allemands, » dit une lettre.

Quoi qu’il en soit, Liselotte ne retrouvait point le calme. Elle avait repris son existence accoutumée. Pour qui ne voyait que la surface, sa gaieté était revenue ; elle s’en est accusée, le 25 avril 1681, auprès de sa sœur Louise : « Dieu m’est témoin que la mort de Sa Grâce l’Electeur m’avait été tellement au cœur, que je m’étais imaginé que je ne pourrais plus jamais

  1. Cf. la correspondance de l’Électeur avec sa sœur du 1er mai au 29 juillet 1680.
  2. La lettre est adressée à la duchesse Sophie.