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faisait traduire, et elle la mandait de temps à autre auprès d’elle, « comme sa bonne tante[1]. » C’est en revenant de chez Liselotte que la princesse de Tarente, un jour qu’elle était en veine de confidences, conta à sa voisine ce qui n’était plus un secret à la Cour de France que pour l’héroïne du roman : « (7 juillet 1680.) Pour sa nièce, elle en parle fort plaisamment : elle a une violente inclination pour le frère aîné de son époux, elle ne sait ce que c’est : la tante le sait bien ; nous rîmes de ce mal qu’elle ne connaît point du tout, et qu’elle a d’une manière si violente. C’est un patron rude, qui se tourne selon son caractère ; c’est la fièvre qu’elle a… Elle n’a de sentiment de joie ou de chagrin que par rapport à la manière dont elle est bien ou mal en ce lieu-là : elle se soucie peu de ce qui se passe chez elle, et s’en sert pour avoir du commerce, et pour se plaindre à cet aîné. Je ne vous puis dire combien cette voisine conta tout cela d’original, et confidemment, et plaisamment. » Mme de Grignan manifesta apparemment quelque incrédulité, car sa mère lui réplique le 28 juillet : « La bonne princesse de Tarente… n’attribue l’agitation de sa nièce qu’à ce que je vous ai dit, et que c’est une fièvre violente, et qu’elle s’y connaît[2] : voulez-vous que je dispute contre elle ? »

Tout le monde commençait par être incrédule. L’idée d’un sentiment tendre allait si mal avec Madame, sa perruque de travers, sa laideur rubiconde, sa voix rude et ses sorties impitoyables contre les pauvres pécheresses, que le premier mouvement était de rejeter cette pensée bien loin ; le second était d’en rire, et « on en riait[3], » mais discrètement, lorsqu’on n’était pas au fond de la Bretagne ; c’était plutôt un sourire. Une lettre de Mme de Maintenon à son amie Mme de Brinon nous donne le ton. Elle est du 25 décembre 1686, six semaines après l’opération du Roi[4] : « Le Roi… a entendu trois messes aujourd’hui, après lesquelles il est venu voir Madame, où il a été une grosse heure… Madame se porte fort bien. La joie est peinte sur son visage de la guérison du Roi. Je crois que vous

  1. De Mme de Sévigné, le 28 mars 1676.
  2. Souligné dans l’original.
  3. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, par A. Geffroy (Paris, 2 vol., 1887). Vol. I, p. 183. Sur ce chapitre délicat, cf. l’Histoire de Mme de Maintenon du duc de Noailles (Paris, 1857, 4 vol. gr. in-8o), vol. III, p. 284.
  4. Le Roi avait été opéré d’une fistule le 18 novembre. C’était ce qu’on appelait alors « la grande opération. »