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ses promesses. Le soir même, il amena son frère dans la chambre de Madame et leur fit un petit discours plein de sagesse. « Surtout, leur disait-il, je vous recommande de ne faire guère d’éclaircissemens, car cela ne sert qu’à aigrir les esprits. » On s’embrassa, « et ainsi fut fait cet accommodement, » qui n’en fut pas un dans le fond, ni Monsieur ni Madame ne s’étant pardonné.

La duchesse Sophie ne le savait que trop, dans son palais enfumé de Hanovre, et elle se demandait avec anxiété où les imprudences de sa nièce allaient la conduire. L’opinion n’était pas tendre, en ce temps-là, pour les princesses qui faisaient passer leur bonheur de femme avant ce qu’elles devaient à leur rang, et la duchesse approuvait complètement l’opinion. Elle-même avait fait ses preuves de patience, — ou de philosophie, — et gagné le droit déparier haut en pareille matière. Ernest-Auguste n’avait jamais pu lasser son indulgence. Il avait beau la tromper, elle répétait avec le même sourire qu’elle était « la plus heureuse femme du monde. » Il avait pris une maîtresse en titre, — une peste, la comtesse Platen, — et la duchesse Sophie avait fait bon visage à la favorite. Ernest-Auguste n’était pas un ingrat ; il témoignait à sa femme une estime profonde, une parfaite confiance, et s’intéressait à son bien-être. Était-elle de celles à qui cela suffit ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que les deux époux, en fin de compte, s’arrangeaient très bien ensemble.

Pour des esprits ainsi faits, c’était folie pure de crier ses affaires de ménage sur les toits et de mettre toute l’Europe dans la confidence de ses querelles. Liselotte reçut lettre sur lettre où sa tante Sophie la tançait d’importance. Comme elle ne répondait point, ne pouvant prendre sur soi de reconnaître ses torts, la duchesse appela à son aide le raugrave Carl-Lutz, qui venait de partir pour Paris : « (7 novembre 1682.) Les nouvelles que nous avons de France nous apprennent votre arrivée à Paris, et qu’il y a un nouveau démêlé entre Monsieur et Madame. J’en suis au désespoir ; on dit qu’elle dit hautement qu’elle sait bien qu’on l’empoisonnera comme on a fait à feu Madame[1] ; mais au lieu de l’appréhender, elle le souhaite. Ce sont des discours qui ne peuvent être fort agréables [à] Monsieur, et qui ne partent pas d’un cerveau bien timbré. Je lui écris fort franchement sur ce sujet ; je vous prie de me seconder ; je lui ai mis l’exemple

  1. Henriette d’Angleterre, première femme de Monsieur.