Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lendemain d’une insolence son bon rire et son « cœur gai. » Il n’en était pas de même des peines où elle s’imaginait voir la main de Mme de Maintenon ; celles-là étaient trop pesantes pour les pouvoir porter, car le Roi y était toujours mêlé. « On m’a pris mon cœur gai, » disait-elle en 1689. Le rire revenait toujours plus ou moins, parce qu’elle riait comme un autre respire ; le cœur restait lourd. La princesse Liselotte devenait une personne gémissante, voyant de la persécution partout, et incapable de se contenir devant l’ascension de sa rivale vers la toute-puissance.


III

Françoise d’Aubigné, née en 1635 dans une prison, veuve en 1660 du cul-de-jatte Scarron et restée très pauvre, avait accepté en 1670 d’élever les enfans de Louis XIV et de Mme de Montespan. Le Roi l’avait d’abord trouvée insupportable, puis il s’y était fait, puis ce fut quelque chose de plus ; quand Mme Scarron, au bout de quatre ans, fut payée de ses bons soins par la terre et le nom de Maintenon[1], pas n’était besoin d’être grand clerc pour deviner que ce n’était qu’une entrée en matière. Quelques mois plus tard, elle était « triomphante[2], » et Mme de Montespan avait à se défendre contre cette gouvernante qui lui devait tout, et qui osait sommer le Roi de rompre avec elle, appelant cela, dans son ingratitude orgueilleuse, « servir Dieu » et « parler en chrétienne[3]. » Madame avait assisté à ce duel, qui fut violent, fertile en scènes terribles, et qui se termina au printemps de 1679 par la défaite de la favorite, tombée au rang de simple spectatrice, après avoir joué si longtemps le premier rôle.

À l’époque où le ménage de Monsieur se disloqua, Mme de Maintenon avait déjà « tout pouvoir auprès du Roi[4]. » Il n’était question toutefois que d’amitié et de confiance. La Reine vivait encore, et la nouvelle amie avait quarante-sept ans ; vertueuse

  1. L’acte d’achat de la terre et seigneurie de Maintenon est du 27 décembre 1674. Quelques semaines plus tard, le Roi l’appela en public « Madame de Maintenon, » et ce fut chose faite.
  2. Sévigné, lettre du 6 mai 1676.
  3. Lettres de Mme de Maintenon à l’abbé Gobelin, juin 1676, avril 1675 (Geffroy, vol. I).
  4. Mémoires de Sourches, I, 108, note 4.