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troisièmement, j’ai plaisanté avec la princesse de Conti[1] de ses galans ; trois choses qui ont tellement déplu au Roi, qu’il m’aurait renvoyée de la Cour, si je n’avais pas été sa belle-sœur. J’ai répondu que, en ce qui concernait Monseigneur le Dauphin, j’avouais ; je l’ai dit, car je n’aurais jamais pu m’imaginer qu’il y eût de la honte à ne pas éprouver de tentation… ; et quant à lui avoir parlé librement de… et de… (deux mots qu’on ne peut citer), c’est la faute du Roi, bien plus que la mienne ; je lui ai ouï dire cent fois qu’on pouvait parler de tout en famille. S’il a changé d’avis, il aurait dû me faire avertir ; c’est la chose du monde dont il est le plus facile de se corriger[2]. » Pas tant que cela, et elle s’en aperçut dans la suite.

Elle se défendait sur les deux autres points, plutôt mal que bien, et concluait en ces termes : « J’avoue que j’en ai plein le cœur contre le Roi de m’avoir traitée comme une femme de chambre. Cela conviendrait mieux à sa Maintenon qu’à moi : elle est née pour cela, moi pas. Je ne sais pas si le Roi a regretté de m’avoir fait faire cette harangue ; ce matin, en allant à la messe, il m’a souri d’un air aimable ; mais moi, je n’avais pas envie de rire. Je lui ai fait comme à l’ordinaire une profonde révérence, mais avec une figure qui était le contraire d’aimable. » Le Roi était certainement fâché de lui avoir fait de la peine. Il lui garda toujours de l’affection. Cependant, il goûtait de moins en moins sa société. Mme de Maintenon faisait du tort à Liselotte même sans y tâcher, simplement parce qu’elle infusait au Roi la passion de la correction extérieure, que ce prince, médiocre connaisseur en morale, confondait avec la vertu.

Cela nous amène à parler de la liberté de langage qui valut à Liselotte son « savon » royal. Bien des gens se la représentent comme la princesse des contes de fées qui ne pouvait ouvrir la bouche sans qu’il en sortît des crapauds. Ils exagèrent. Liselotte ne s’exprimait pas habituellement en langage de corps de garde. Sa correspondance en fait foi. Les éditeurs ont pu en retrancher un certain nombre d’anecdotes trop grossières, ils n’en ont pas changé le ton général, qui est proprement savoureux, La vérité, c’est qu’elle était rabelaisienne à ses heures, avec ferveur et avec délice, et que, lorsqu’elle s’y mettait, il n’y avait

  1. Marie-Anne de Bourbon, dite Mlle de Blois, fille du Roi et de Mme de Montespan.
  2. Lettre à la duchesse Sophie.