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notice lue à l’Association des anciens élèves de l’École normale, M. Levasseur a retracé, d’une façon singulièrement vivante, la vie de l’École durant ces trois années. Il a parlé avec charme de ce triumvirat formé par Prevost-Paradol, Gréard et lui, qui s’est continué toute leur vie. Ce que Gréard était pour ceux qui l’aimaient, j’en trouve le témoignage dans une lettre touchante de Prevost-Paradol : « J’ai ici, écrivait-il, un trésor dont j’abuse. C’est Gréard, mon refuge ; je suis toujours pendu à son bras. Je l’étourdis de mes lamentations et de mes châteaux en Espagne et je ne parviens pas encore à lasser sa patience et son amitié... Hors lui, et par intervalle Levasseur, je ne vois ici personne, mais je n’ai pas avec Levasseur ce lien de l’affligé au consolateur, qui fait d’Octave et de moi une seule âme. »

M. Levasseur ne nous dit pas quelle fut l’attitude de Gréard dans cette journée mémorable où, la nouvelle du coup d’État de Décembre étant arrivée à l’École, les élèves se rassemblèrent dans la bibliothèque et prirent, à l’unanimité, la résolution de se rendre sur les barricades qu’ils supposaient devoir s’élever dans Paris, résolution qu’ils chargèrent Prevost-Paradol de notifier au directeur de l’École. J’imagine qu’elle dut être réservée et silencieuse. Quoi qu’il en soit, les circonstances dispensèrent ces fiers jeunes gens de passer de la résolution à l’acte. « L’arrivée d’un régiment de ligne sur la place du Panthéon comprima leur élan. » L’année d’École s’acheva paisiblement, et le 29 septembre 1852, Gréard était nommé suppléant de seconde au lycée de Metz. Appelé bientôt à Versailles, puis à Paris, il a professé pendant onze ans, avec quelle conscience, avec quelle autorité, avec quel charme, ses notes, que j’aime encore à citer, en peuvent donner l’idée : « Professeur intelligent, zélé, instruit, parole agréable et abondante, très bon enseignement suivi avec intérêt, » disait le proviseur du lycée Saint-Louis où Gréard était suppléant de rhétorique, et l’inspecteur général ajoutait : « C’est un homme de manières distinguées dont l’élocution est facile, accentuée, pleine d’animation. Il captive, émeut, entraîne son jeune auditoire. Il est extrêmement sympathique à ses élèves. »

D’aussi rares qualités auraient assurément conduit Gréard au-delà de la chaire de seconde dont il avait été nommé titulaire en 1861. Un jour ou l’autre, les portes de la Sorbonne se seraient ouvertes devant lui, et il aurait marqué sa place dans