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car, pour le véritable historien, tout ce qui a fait grande figure dans la vie d’un peuple demeure digne de respect. Il croyait en effet qu’ « on peut aimer son temps passionnément et travailler avec ardeur à préparer l’avenir, sans méconnaître le passé. » C’est à ce passé qu’il voulut rendre hommage en écrivant le beau livre qui a pour titre : Nos adieux à la vieille Sorbonne. La destinée de ce vieux bâtiment l’avait ému, un soir qu’il avait voulu le parcourir seul, dans une visite suprême, quelques jours avant que le pic des démolisseurs n’eût achevé sa tâche. Pour enlever les ruines qu’ils avaient faites, il avait fallu traiter au prix de vingt-cinq mille francs. Vingt-cinq mille francs ! C’était tout ce qu’avait été estimée la Sorbonne de Richelieu, et, dans un accès de mélancolie philosophique, Gréard se demanda ce que vaudraient un jour les ruines de la Sorbonne nouvelle. Au moins voulut-il que justice fût rendue à l’ancienne, et il s’appliqua, avec une pieuse fidélité, à feuilleter ses archives inexplorées. Il pénètre et fait avec lui pénétrer ses lecteurs dans la vie intime « de ces humbles serviteurs de jadis, serviteurs d’une foi, d’une idée, pour qui la suprême récompense, la seule le plus souvent, était de dormir obscurément leur dernier sommeil dans la maison à laquelle ils s’étaient voués, bercés par les lointains souvenirs du passé et par les rêves de l’avenir. » Il nous fait assister à leurs fêtes, à leurs soutenances, à leurs disputes, à leurs épreuves, jusqu’au jour où, pour s’être refusés fièrement à prêter le serment civique, ils furent frappés et dispersés par la Révolution. L’ouvrage se terminait par le magnifique éloge « d’une société, née au milieu du trouble et de la confusion des idées du moyen âge, qui, dès l’origine, ne cherchait sa force qu’en elle, n’acceptant aucun subside qui l’engage, aucune autorité qui la subordonne, se recrutant par un libre choix, n’admettant pas les vœux et repoussant les privilèges, ne promettant à ceux qui recherchent l’éducation dont elle dispose ni honneurs, ni bénéfices, n’usant de son crédit auprès des puissances que pour servir les humbles, plus souvent dans la détresse que dans l’aisance, prête à tous les sacrifices, hormis à ceux qui porteraient atteinte à son indépendance, fidèle à elle-même à travers les siècles, par la seule force de la coutume, attachée aux doctrines religieuses les plus libérales et pénétrée du sentiment national, mais étrangère à toute ingérence politique, retenue par l’élévation de ses principes sur la pente des entraînemens dangereux